<129>

201. DE VOLTAIRE.

(Paris) juin 1743.

Grand roi, j'aime fort les héros,
Lorsque leur esprit s'abandonne
Aux doux passe-temps, aux bons mots;
Car alors ils sont en repos,
Et ne font de tort à personne.
J'aime César, ce bel esprit,
César, dont la main fortunée,
A tous les lauriers destinée,
Agrandit Rome, et lui prescrit
Un autre ciel, une autre année.
J'aime César entre les bras
De la maîtresse qui lui cède;
Je ris et ne me fâche pas
De le voir, jeune et plein d'appas,
Dessus et dessous Nicomède.
Je l'admire plus que Caton,
Car il est tendre et magnanime,
Eloquent comme Cicéron,
Et tantôt gai, tantôt sublime,
Comme un roi dont je tais le nom.
Mais je perds un peu de l'estime
Quand il passe le Rubicon,
Et je pleure quand ce grand homme,
Bon poëte et bon orateur,
Ayant tant combattu pour Rome,
Combat Rome pour son malheur.

Vous êtes plus heureux, Sire, après votre prise de la Silésie, que votre devancier après Pharsale. Vous écrivez comme lui des Commentaires; vous aimez comme lui la société; vous en faites le charme; vous m'envoyez des vers bien jolis et une préface digne de vous, qui annonce un ouvrage digne de la préface. Je n'y puis plus tenir; le côté de votre aimant m'attire trop fort, tandis que le côté de l'aimant de la France me repousse. S'il y avait dans la Cochinchine un roi qui pensât, qui écrivît et qui parlât comme vous, il faudrait s'embarquer et aller à ses pieds.