<126>quelque repos, et de recommencer mon commerce avec les Muses. Je vous enverrai bientôt l'Avant-propos de mes Mémoires. Je ne puis vous envoyer tout l'ouvrage, car il ne peut paraître qu'après ma mort et celle de mes contemporains, et cela, parce qu'il est écrit en toute vérité, et que je ne me suis éloigné en quoi que ce soit de la fidélité qu'un historien doit mettre dans ses récits. Votre Histoire de l'esprit humain est admirable; mais qu'elle est humiliante pour notre espèce et pour la Providence même, si pourtant elle fait choix de ceux qui doivent gouverner le monde et servir de ressort aux changements qui arrivent sur la terre!

Je suis bien fâché d'apprendre que la grippe vous ait si fort abattu. Je me flatte que l'esprit soutiendra le corps, comme l'huile fait durer la flamme dans la lampe.

D'Argens a fait représenter sa comédie,a qui nous a fait bâiller tous. Il voulait la donner au théâtre de Paris; mais je l'en ai dissuadé, car il aurait été sifflé à coup sûr. Vous êtes unique : vous avez fait une tragédie à dix-neuf ans,b et un poëme épique à vingt;c mais tout le monde n'est pas Voltaire.

Les tracasseries ridicules des dévots de Paris sont parvenues jusqu'au Nord. Je m'attendais bien que Voltaire serait réprouvé dès qu'il comparaîtrait devant un aréopage de Midas crossés-mitrés. Gagnez sur vous de mépriser une nation qui méconnaît le mérite des Belle-Isle et des Voltaire, et venez dans un pays où l'on vous aime, et où l'on n'est point bigot. Adieu.

La Pucelle! la Pucelle! la Pucelle! et encore la Pucelle! Pour l'amour de Dieu, ou plus encore pour l'amour de vous-même, envoyez-la-moi.


a L'Embarras de la cour. Voyez t. XVII, p. 197 et 224.

b Œdipe, composé en 1713.

c Le commencement de la Henriade.