<76>avons les nôtres. L'Allemagne ne manque ni de superstitieux, ni de fanatiques entêtés de leurs préjugés et malfaisants au dernier point, et qui sont d'autant plus incorrigibles, que leur stupide ignorance leur interdit l'usage du raisonnement. Il est certain qu'on a lieu d'être prudent dans la compagnie de pareils sujets. Un homme qui passe pour n'avoir point de religion, fût-il le plus honnête homme du monde, est généralement décrié. La religion est l'idole des peuples; ils adorent tout ce qu'ils ne comprennent point. Quiconque ose y toucher d'une main profane s'attire leur haine et leur abomination. J'aime infiniment Cicéron.a Je trouve dans ses Tusculanes beaucoup de sentiments conformes aux miens. Je ne lui conseillerais pas de dire, s'il vivait de nos jours :

Mourir peut être un mal, mais être mort n'est rien.b

En un mot, Socrate a préféré la ciguë à la gêne de contenir sa langue; mais je ne sais s'il y a plaisir à être le martyr de l'erreur d'autrui. Ce qu'il y a de plus réel pour nous dans ce monde, c'est la vie. Il me semble que tout homme raisonnable devrait tâcher de la conserver.

Je vous assure que je méprise trop les jésuites pour lire leurs ouvrages. Les mauvaises dispositions du cœur éclipsent en eux toutes les qualités de l'esprit. Nous vivons d'ailleurs si peu, et nous avons, pour la plupart, si peu de mémoire, qu'il ne faut nous instruire que de ce qu'il y a de plus exquis.

Je vous envoie par cet ordinaire l'Histoire de la Vierge de Czenstochow, par M. de Beausobre; j'espère que vous serez content du tour et du style de cette pièce. Autant que je m'y connais, je n'ai point remarqué de fautes contre la pureté de la langue. Il est vrai que la plupart des réfugiés la négligent beaucoup. Il s'en trouve pourtant quelques-uns qui, je crois, pourraient ne pas être réprouvés par votre Académie. Nos universités et notre Académie des sciences se trouvent dans un triste état; il paraît que les Muses veulent déserter ces climats.


a Voyez t. XIV, p. 82.

b Tusculanes, livre I, ch. 8, d'après la traduction de Bouhier et d'Olivet. Paris. 1737, t. I, p. 67.