<56>pour moi l'effet salutaire que j'ai tant de lieu d'en attendre, surtout si M. le baron de Knyphausen la rappelle quelquefois à M. le contrôleur général. C'est ce que j'ose demander en grâce à V. M. de vouloir bien lui recommander, et aussi d'avoir la bonté extrême d'en dire un mot à M. de La Touche. Tout ce qui mène à la fortune, même médiocre, est si prodigieusement couru dans ce pays-ci, qu'il n'y a exactement que la force de la protection qui puisse l'emporter; et j'ai toutes les espérances du monde, Sire, qu'on ne refusera pas à celle dont V. M. m'honore les demandes modestes que je me propose de faire. Qu'il sera heureux pour moi, Sire, dans les sentiments qui m'attachent à V. M., de ne devoir mon aisance qu'à son appui et à ses bontés!

M. de Voltaire a été à Lyon, au passage de M. le duc de Richelieu. Il a fait sa cour à madame la M..., qui l'a reçu froidement.a Il a été accueilli faiblement des grands, craint des particuliers, et comblé d'éloges par le gros du public. On comptait qu'il y attendrait le retour du duc de Richelieu, qui sera le 10 janvier; mais, le 10 de ce mois-ci, il est parti au moment qu'on s'y attendait le moins, toujours accompagné de madame Denis, et il est allé s'établir au château de Prangins, dans le Pays de Vaud, domination de Berne, sur le lac et à six lieues de Genève. Ce château, qui est fort beau et dans la plus belle situation du monde, lui est prêté par le propriétaire, et l'on pense à Lyon que ce motif d'économie n'a pas peu contribué au parti qu'il a pris. Il a annoncé qu'il irait prendre les bains d'Aix-la-Chapelle; on en doute. Il fait actuellement à Genève une nouvelle édition de l'Histoire universelle, et l'on assure que la publication de la Pucelle ne tient presque à rien. Il ne dissimule à personne que son exil de ce pays-ci est éternel, si cet ouvrage devient public. Il s'est amusé à Lyon à faire jouer aux comédiens quelques-unes de ses tragédies; celle du Triumvirat, de Crébillon, qui fut représentée hier pour la première fois, et


a Voltaire écrit à Thieriot, Lyon, 3 décembre 1754 : « Le hasard, qui conduit les aventures de ce monde, m'a fait rencontrer au cabaret, à Colmar et à Lyon, madame la margrave de Baireuth, sœur du roi de Prusse, qui m'a accablé de bontés et de présents. »