217. AU MARQUIS D'ARGENS.

Breslau, 11 février 1762.

J'avoue, mon cher marquis, que la hâte de vous communiquer une bonne nouvelle a peut-être été cause que je l'ai trop étranglée, et que vous n'avez pas pu jouir en détail de ce quelle contient d'agréable. Je puis facilement satisfaire votre curiosité sur ce point pour assurer entièrement le calme de votre âme et pour avoir le plaisir de vous faire lire six fois ma lettre. Vous saurez donc que l'empereur de Russie est aussi porté pour nos intérêts que le pourrait être le meilleur bourgeois de Berlin, et que nous allons faire tout de suite la paix et peut-être une alliance, ce qui nous débarrasse, d'un coup de filet, de cette infâme horde de barbares qui nous désolait et, par bricole, des Suédois, dont nous allons être quittes par conséquent. Il nous reste encore les Autrichiens, les cercles et messieurs vos compatriotes. C'est plus qu'il ne nous en faut, et vous comprenez qu'il nous faut encore la bonne nouvelle d'une diversion pour nous débarrasser de ce tas d'ennemis si incommodes et si dangereux. J'attends les assurances de cette diversion, qui m'ont déjà été données, mais dont <289>les effets doivent se manifester en peu de temps. Je n'en puis être informé qu'à la fin de ce mois, et, si cela arrive, sans être astrologue ni devin, je prophétise la paix pour le commencement de l'année prochaine. Voilà où tendent mes vœux; mais je veux cette paix honorable, conforme à la dignité de l'État et conforme aux efforts que nous avons faits pour l'obtenir. Voilà, mon cher, les choses que vous désirez d'apprendre. Vous pouvez prendre tout comme achevé ce qui regarde les Russes et les Suédois.

Pour ce qui est le second article, quoique j'en sois presque sûr, je ne veux pourtant rien affirmer avant la fin de ce mois, et je vous en instruirai. Mais, quoi qu'il arrive, la ville de Berlin sera en sûreté, et tous mes anciens États à l'abri des ravages de mes ennemis. Livrez-vous donc à une joie pure, et ne craignez plus, cette année, que votre domicile soit troublé par les attentats de ces brigands qui nous ont vexés avec tant d'impudence. Vous pouvez, mon cher marquis, vous promener tranquillement depuis Memel jusqu'à Magdebourg, et par conséquent prendre les eaux doucement à Sans-Souci, si vous le voulez. Pour moi, je serai obligé, comme le bœuf de mon voisin, de tracer à pas tardifs un pénible sillon.324-a Si la diversion se fait, j'aurai la légèreté du cerf et la force du lion; si cela n'arrive pas, nous ne serons guère avancés, mais nous pourrons nous soutenir, et la guerre ne finira pas.

Vous voilà au fait de tout, et vous en pouvez porter votre jugement sans vous tromper. Voyez ce que c'est de ces vastes projets. La mort vous trousse lestement une catin,324-b et voilà les projets de ces profonds politiques renversés. Quelles misères! Heureux le philosophe qui s'applique à la sagesse, et méprise tous ces riens pompeux dont l'ignorante et ambitieuse espèce d'hommes fait un si grand cas! Pour moi, j'en reviens tous les jours; mais les filles du ciel, ces industrieux insectes, sont faites pour pétrir de la cire, et moi pour politiquer.

J'ai eu les hémorroïdes durant un mois, avec un flux de sang assez considérable pour emporter le peu de forces qui me restent. Cela s'est passé depuis deux jours, et ma santé ne doit vous cau<290>ser aucune inquiétude. Que le ciel nous assiste, et nous guerroierons tant qu'il le faudra. Voilà tous les restaurants et confortatifs que je puis vous donner. Je souhaite que vous les trouviez suaves et calmants, en un mot, capables de tranquilliser votre esprit et de ranimer votre corps, pour vous faire jouir d'une parfaite santé. Je m'y intéresse plus que personne, car vous le savez, et je ne vous apprends rien de nouveau en vous disant, à la fin de ma lettre, que je vous aimerai toujours. Adieu, mon cher marquis.


324-a Voyez ci-dessus, p. 305.

324-b Voyez t. XVIII. p. 168.