57. AU MÊME.

Landeshut, 12 mai 1759.

Vos projets sont excellents, mon cher marquis; il faut persifler nos ennemis et les battre, si nous le pouvons. Mon frère Henri y fera son possible; pour de ce côté-ci, tout est tranquille, et il y a apparence que cela continuera jusqu'à la fin du mois. Si une fois le diable est aux champs, ce sera un beau bruit et une héroïque confusion, suivie d'une boucherie tragique; c'est de quoi il faut attendre l'événement en patience. Vous croyez, mon cher marquis, que notre ouvrage est perpétuel; cependant il se trouve toujours quelque calme parmi la tempête, qui laisse le temps de faire des bagatelles. Mes vers sont bons pour vous et Catt; mais d'ailleurs c'est peu de chose, et, comme on les peut faire sans peine, ils ne méritent aucune attention.

Des vers languissants, chevillés,
Que Bernis76-a fait à la douzaine,
De petits mots entortillés,
Des zéphyrs, de la marjolaine,
Un ruisseau coulant sur l'arène,
Des chiffres tendrement taillés
Sur l'écorce antique d'un chêne,
Méritent, marquis, pour leur peine,
D'être à jamais oubliés.

<69>C'est à quoi s'attendent mes vers et ceux de mes pareils. Laissons aux génies véritables la gloire qui leur est due; qu'on apprenne par cœur Racine, Rousseau et Voltaire, que mes amis me fassent l'honneur de me lire et de se taire, et que chacun se borne à son métier et se renferme dans son talent. Pour moi, qui suis obligé de faire un métier auquel me condamne l'aveugle hasard de ma naissance, je me force à avoir les talents qui y conviennent, et à réparer par l'art et l'application ce que la nature m'a refusé. Vous voulez vous servir de l'ancienne machine de la religion?

Mais ce sont des armes usées,
Qui se rouillent dans l'arsenal.
Le fanatisme, en général,
Est le sujet de nos risées;
Les femmes mêmes, abusées,
Rejettent son poison fatal.
On ne réveille plus le zèle
Ni pour Luther, ni pour Calvin;
C'est une pâte sans levain.
Cette religion nouvelle
Avait un pouvoir souverain;
Marquis, à présent c'est en vain
Qu'on recherche quelque étincelle
De ce feu dont l'embrasement
Pensa mettre l'Europe en cendre,
Et qui le voudrait entreprendre
Perdrait son temps assurément.

Ce n'est pas que je condamne votre projet; écrivez toujours, et essayez ce que vous pourrez faire. Mais, mon cher, l'intérêt personnel, chez nos bons protestants, l'emporte sur l'attachement qu'ils ont pour la communion sub utraque, et je prévois que dans peu cette religion finira, soit qu'on la détruise en me perdant, soit qu'on la laisse mourir de sa belle mort par extinction de zèle. Pour Sa Sainteté, je le trouve le plus fou de tous les successeurs de saint Pierre.

Sa Sainteté me fait l'honneur
De me traiter, dont je me moque,
Comme on traite le Grand Seigneur.
<70>A Daun il a donné la toque,
Le sabre d'immense longueur
Qu'Eugène reçut par faveur
Pour immortaliser l'époque
Des triomphes de ce vainqueur,
Quand dans le sang des infidèles,
D'Ottomans aux papes rebelles,
Il eut lavé son bras vengeur.
Dans nos ridicules querelles,
Dans le cours de guerres cruelles,
Ah! puisse ce bonnet papal,
Qu'a reçu ce grand général,
Se changer, par ses balourdises,
Par ses mécomptes, ses méprises,
Par sa lenteur et ses faux pas,
De l'aveu de tous ses soldats,
De Rome, de Paris, de toutes les Églises,
En tiare du seigneur Midas!
Pour moi, sans toque et sans épée,
Que toute l'Europe attroupée
Poursuit avec acharnement,
Que trois p..... très-haut huppées.
Par caprice préoccupées,
Guerroient encore chaudement,
Sans être béni de personne,
Toujours sans sacrement, sans prône,
Calviniste, ni luthérien,
Je ne désespère de rien,
Si ta main, marquis, me la donne.

Je serai béni de cette même main qui a lancé tant de foudres sur l'infâme, qui va persifler nos ennemis, et qui, après avoir triomphé de l'erreur, triomphera encore de l'envie et de l'aveugle rage de ceux qui me poursuivent. Adieu, mon cher marquis; voilà assez de sottises pour une fois. Je vous en promets autant à chaque fois que vous m'écrirez.

Vous pourrez trouver à Berlin le Panégyrique de Matthieu Renard, Lettres sur les satires, sur les libelles, Lettre d'un secrétaire du comte Kaunitz au secrétaire du comte Cobenzl, Lettre d'un professeur suisse à un Vénitien, Lettre de la Pompadour <71>à la reine de Hongrie pour demander l'abolition du collége de chasteté, etc.


76-a Voyez t. X, p. 123, et ci-dessus, p. 25.