<135>Quand encor le démon du Pinde me domine,
Que mon esprit appesanti,
Se ranimant, excite un feu presque amorti.
S'il m'échappe en riant une pièce badine,
Sans que mon nom soit compromis.
Sans penser au public, ma muse la destine
A désennuyer mes amis,a

Je vous avoue, mon cher marquis, que je suis très-fâché de paraître devant le public en qualité de poëte : tous ces gens sont en mauvaise réputation; le jugement le moins défavorable qu'on en porte, c'est qu'ils sont fous. Pour le Dictionnaire des athées,b il est du dernier ridicule. J'ai été un peu fâché de voir qu'on nous a donné ce faquin de La Beaumelle pour collègue; ce misérable n'a jamais pensé, et il se trouve du nombre de ceux qui font honte à la philosophie par faiblesse, comme ces transfuges qui se sauvent des armées par lâcheté. Une des ruses dont les théologiens se servent avec le plus de succès est celle de confondre les libertins et les philosophes. Ces premiers, qui se livrent plutôt aux saillies impétueuses de leur tempérament qu'à leur raison, se jettent souvent d'un excès dans l'autre, de l'incrédulité dans la superstition. C'est là que les théologiens triomphent, et les conséquences qu'ils tirent de la conduite de ces hommes, qui n'en ont aucune, leur fournissent leurs meilleures armes. Mais, après tout, j'ai d'autres gens à combattre que des théologiens, et il me faut recourir à la plus fine industrie et aux plus excellents stratagèmes pour résister aux démons politiques qui me persécutent impitoyablement. Ces idées absorbent toutes les autres dans mon esprit, comme un violent mal rend insensible à un moindre. Enfin, mon cher marquis, je ne suis bon à rien qu'à guerroyer, puisque tel est mon fâcheux destin. Écrivez-moi toujours, et soyez persuadé de mon amitié. Adieu.


a Voyez t. XIII, p. 09 et 60.

b Trinius, Freydenker-Lexicon. Leipzig, 1759, huit cent soixante-seize pages in -8.