<94>contre la nature, et certainement cela n'a pas tourné à son avantage.

Le fou s'est dit mort à Colmar, pour entendre ce qu'on dirait de lui. Je vous envoie son épitaphe :

Ci-gît le seigneur Arouet,
Qui de friponner eut manie.
Ce bel esprit, toujours adrait,
N'oublia pas son intérêt,
En passant même à l'autre vie.
Lorsqu'il vit le sombre Achéron,
Il chicana le prix du passage de l'onde,
Si bien que le brutal Caron,
D'un coup de pied au ventre appliqué sans façon,
Nous l'a renvoyé dans ce monde.a

Je vois bien que je ne vous reverrai qu'avec les cigognes et les hirondelles, et je compte que vous aurez si bien arrangé vos affaires en Italie, que vous ne serez plus obligé d'y retourner de sitôt. Adieu.

90. AU MÊME.

Ce 15.

J'ai reçu des graines de melon, de la musique, et le portrait d'une danseuse. Je vous remercie des premières, j'entendrai ces jours-ci la musique, et quant au portrait de la danseuse, je le trouve très-joli; mais il faut savoir son prix avant que de procéder à l'engagement. Huit cents ducats est trop pour une troisième danseuse; mais si nous pouvons nous accorder, ce sera une affaire pour l'année qui vient. Je vous renvoie le portrait, qui pourra rappeler à la vie vos esprits engourdis, et vous faire préluder sur l'illusion de la jouissance, attendant la réalité. Chiquaa


a Voyez t. XIV, p. 197.

a Ce nom, fidèlement copié sur le texte de M. de Raumer, que nous suivons, nous est inconnu. Peut-être Frédéric veut-il parler du signor Crichi, chanteur de l'Opéra-comique, qui vint à Berlin au mois de mars 1754.