<93>J'ai été encore dernièrement passer quelques jours à mon infirmerie de Padoue, et n'ai assurément pas regretté la capitale. Je vois assez souvent M. l'ambassadeur de France,b qui est bien fait pour représenter la plus aimable nation du monde. Il se flatte, Sire, que la route où il est entré pourra le mener encore faire sa cour à V. M. Il a bien des titres pour vous admirer, Sire, comme ministre, comme un des Quarante, comme homme d'esprit. Je le verrais encore plus souvent, s'il n'avait pas un si bon cuisinier; il est triste que ma raison ait toujours à combattre des envies qui restent toujours à un estomac qui n'a plus la force de les satisfaire.

89. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 9 février 1754.

Je m'étonne que les médecins d'Italie et l'air natal ne vous aient pas encore guéri. Je comprends que les médecins sont les mêmes partout. Tant que leur art ne sera pas perfectionné, ils ne seront que les témoins des maladies.

J'ai vu à Berlin un comte, ou je ne sais quoi, qui se nomme Menefolio. A nous autres Allemands il a paru fou; je ne sais ce qu'il paraîtra aux Italiens. Il travaille depuis trente ans à une comédie dont il est lui-même le sujet principal. Il dort tout le jour, se lève à sept heures du soir, dîne à minuit, soupe à sept heures du matin, et travaille sa comédie. Il dit, sans cependant en être cru, que tout le monde vivait à présent ainsi en Italie. Comme il défait et refait sans cesse sa comédie, elle aura le sort de l'ouvrage de Pénélope, et je crois que ce beau phénix du théâtre ne sera pas représenté de sitôt.

Formey a lu à l'Académie les Éloges de MM. d'Arnim et de Münchow, et l'Académie s'est opposée à leur impression. J'ai été curieux de les lire. Jamais il n'y a eu bavardage plus inepte et plus plat. Formey a voulu avoir de l'esprit; il a fait assaut


b L'abbé de Bernis. Voyez t. IV, p. 38, et t. X, p. 123.