<277>connaître toutes les circonstances dans lesquelles vous vous trouvez; et, sans être un Marc-Antonin, je ne désire rien tant, connaissant vos chagrins, que d'y pouvoir porter remède. Mais malheureusement je crois avoir lieu de craindre que jamais je ne pourrai être la cause efficiente de votre bonheur et de votre fortune.

Je me retire à présent dans ma chère solitude, où je donnerai carrière à mes études. Wolff, comme vous pouvez le croire, y tiendra son coin; le sieur Rollin aura ses heures, et le reste sera consacré aux dieux de la tranquillité et du repos. Un certain poëte dont vous aurez entendu parler, ou lu quelques ouvrages, Gresset, vient chez moi,a et avec lui l'abbé Jordan, Keyserlingk, Fouqué et le major Stille. Quelle fatalité nous sépare, mon cher Diaphane? et pourquoi ne pouvons-nous pas voir à Rheinsberg nos jours couler ensemble dans le sein de la vérité et de l'innocence?

Là, sous un ciel serein, assis au pied des hêtres,
Nous étudions Wolff en dépit de nos prêtres.
Les Grâces et les Ris ont accès en ces lieux,
Sans pourtant excepter aucun des autres dieux.
Tantôt, quand nous sentons bouillonner notre verve,
Nous chantons en l'honneur de Mars et de Minerve;
Tantôt, le verre en main, nous célébrons Bacchus,
Et, la nuit, nous payons nos tributs à Vénus.

Telle est la confession que je vous fais de la vie que nous menons dans ce fortuné séjour, où le ciel puisse nous conserver longtemps! Quant à ce que vous me dites de la philosophie de Wolff, vous serez fort étonné d'apprendre que son sort est celui du temps; et, à moins que d'avoir un thermomètre de cour, il est impossible de savoir en quel crédit elle est présentement. Mais c'est de quoi je ne m'embarrasse guère; car, quand on connaît le fond d'incertitude et de diversité qui se trouve dans le temps, l'on ne s'enquiert plus de la raison des choses qui n'en ont aucune


a La négociation ne réussit pas; mais Frédéric témoigna toujours beaucoup d'estime à l'auteur de Vert-vert. Dans sa lettre à Voltaire, du 28 mars 1738, il s'exprime ainsi : « La muse de Gresset est à présent une des premières du Parnasse français. »