<149>moyens qui ne laissent pas de mettre les grands dans d'assez grands embarras pour nous faire respecter par eux. - Quel étrange plaisir prenez-vous, lui dis-je, de porter ainsi le trouble dans des pays sur lesquels vous n'avez aucune juridiction? - Aucune juridiction! repartit-il; quoi! n'avons-nous pas la juridiction spirituelle sur toutes les âmes? Les rois ont des âmes; ainsi .... - Ah! lui dis-je, en l'interrompant, votre sentiment ne serait pas reçu à Pékin : nos sublimes souverains ont des âmes; mais ils sont très-persuadés que ces âmes sont à eux, et qu'ils n'en doivent compte qu'au Tien. - Voilà précisément, répondit le bonze, l'hérésie de ceux qui se sont séparés de l'Église. - Qu'est-ce que hérésie? lui dis-je. - C'est le sentiment de tous ceux qui ne pensent pas comme nous. Je ne pus m'empêcher de lui marquer que je trouvais plaisant qu'il voulût que tout le monde eût ses idées, vu que, en nous formant, le Tien nous avait donné à tous des traits, un caractère, et une manière particulière d'envisager les choses; que pourvu que l'on fût d'accord sur la pratique des vertus morales, le reste importait peu. Mon bonze m'assura qu'il s'apercevait que j'étais encore très-chinois. C'est, lui dis-je, ce que je veux être pour la vie. Sachez que les bonzes n'auraient pas beau jeu dans mon pays, s'ils voulaient raisonner comme vous le faites; on leur permet de porter des carcans de fer et de se fourrer autant de clous dans le derrière que cela leur peut faire plaisir; d'ailleurs, quelle que soit leur mauvaise humeur, ils n'ont pas le pouvoir de chagriner un esclave, et s'ils l'osaient, on le leur rendrait bien. Mon bonze reprit avec un air de contrition qu'il voyait, à son grand regret, que nous serions damnés, et qu'il n'y avait point de salut pour ceux qui n'honoraient pas aveuglément les bonzes, et ne croyaient pas stupidement tout ce qu'il leur plaisait de leur dire. Je ne sais si c'est une opinion particulière à celui dont je viens de parler, ou si c'est la foi commune suivie en général. Le peu de temps que je suis ici ne m'a pas permis de m'en instruire; je te supplie en toute humilité de te donner quelque patience, et tu seras content des relations de ton esclave.