<138>grand prince, et l'en dépouiller, si elle peut : voilà qui est entièrement égal. Ce qui poussa Cartouche au crime, fut beaucoup de fainéantise, une mauvaise économie, un intérêt désordonné, et enfin un oubli funeste de la vertu et de tout sentiment d'honneur. Concluez-en que des actions mauvaises et semblables doivent avoir les mêmes principes, et qu'elles ne peuvent naître à moins d'une corruption déplorable du cœur et d'une très-fausse idée de la vraie gloire.

Mais voici bien une autre question qui s'élève. Les grands et les souverains sont-ils donc obligés de se conformer dans toutes leurs actions à la rigidité des lois qui font la sûreté des sociétés civiles, ou y a-t-il des cas où les avantages de leurs royaumes et de grandes vues d'intérêt les en peuvent dispenser?

Si vous consultez Machiavel, vous y trouverez que tous les moyens sont bons et légitimes, pourvu qu'ils servent l'intérêt et l'ambition des princes. C'est la morale des scélérats, et ces maximes sont d'autant plus affreuses, que si tous les princes les pratiquaient, il vaudrait mieux vivre dans la société des tigres, des panthères et des lions que dans celle d'hommes qui agiraient ainsi. Si vous voulez feuilleter Hugo Grotius, vous verrez que ce sage et savant jurisconsulte n'admet qu'une vertu et qu'une morale pour tous les hommes, à cause que les actions sont bonnes ou mauvaises par elles-mêmes, et que les personnes qui les font n'en changent ni la qualité ni la nature. Dans son traité du droit public, il descend dans les plus grands détails sur les différentes causes de la guerre, qu'il apprécie toutes à leur juste valeur, montrant en quoi consistent les légitimes, et celles qui sont injustes. Je me dispense de vous copier ces passages, à cause du long séjour que vous avez fait en Allemagne et de l'étude particulière que vous avez faite de cet excellent ouvrage. Il n'y a donc qu'une vertu et qu'une justice pour tous les hommes, dont en honneur il n'en est aucun qui puisse se dispenser d'en pratiquer les préceptes. Il se trouve encore que les souverains devraient d'autant plus éviter les mauvaises actions, qu'ils ont à craindre que si l'usage s'en établit universellement, ils en souffriront plus que les particuliers par le talion.

Mais, direz-vous, d'où vient que les actions qui dans le fond