<35>J'irais, j'irais pour vous, ô prince magnanime!
Fléchir dans les enfers Rhadamanthe et Pluton;
Mes sanglots toucheraient la Parque inexorable,
Mes chants feraient tomber de sa main redoutable
Les rigoureux ciseaux;
Plus heureux que Thésée,
J'irais de l'Élysée
Ramener mon héros.

Malheureux! où m'égare un fortuné délire?
Quel mortel peut passer l'Achéron à deux fois?
Tout espoir est perdu. Muse, brisons ma lyre,
Terminons les accents de ma tremblante voix :
Ces chants que m'inspira ma plainte douloureuse,
Trop faibles pour percer la voûte ténébreuse,
De nos tristes clameurs
Retracent des peintures
Qui rouvrent nos blessures,
Et redoublent nos pleurs.

(Faite au camp de Bunzelwitz, en septembre 1761, et corrigée à Strehlen,
au mois de novembre suivant.)