<193>Dans l'univers bientôt la Renommée
A parsemer ces bruits fut occupée.
Ce monstre affreux paraît d'abord petit;
En moins de rien il s'accroît et grandit;
Jusques aux cieux atteint sa tête énorme,
Et de ses pieds il touche les enfers.
L'étrange oiseau, même en volant, s'informe
De ce qu'on fait et dit dans l'univers;
Sous chaque plume, ô prodige! ô merveille!
Il a des yeux, des bouches, des oreilles.
Il va d'un pas d'orient en occident,
Et, publiant les vérités, les songes,
Et des secrets, et souvent des mensonges,
Divulgue tout d'un babil imprudent.
Dans les deux camps ce monstre malfaisant
Avait tout dit; on n'entendait que rire.
Le bon Charlot en son cœur en soupire :
« Hélas! faut-il que, si dévot aux saints,
J'aie ici-bas d'aussi cruels destins! »
S'écria-t-il. Mais Kolowrat l'approche :
« Prince, dit-il, pourquoi donc ce reproche?
Si vous souffrez dans ce monde maudit,
Dans l'autre aurez l'immortelle couronne :
Ce n'est qu'à ceux que le monde proscrit
A qui le ciel après la mort la donne.
Il faut souffrir les tribulations,
Le fer, le feu, les macérations;
Quand nous avons senti ces maux insignes,
Encor des cieux sommes-nous tous indignes. »
Le preux Rosière entend avec chagrin
Ce discoureur si doux, si débonnaire :
« Vous raisonnez, dit-il, en capucin;
Il faut ici parler en militaire.
Prince, excitez votre feu naturel,
Aiguillonnez votre illustre courage,
Avant la nuit effacez votre outrage,
Courez venger votre honneur et le ciel. »