<183>Leur esprit est pareil aux arides contrées
Qui portent pour tout fruit des ronces bigarrées;
Les malheureux efforts de leur fécondité
Nous nuisent encor plus que leur stérilité.
Si le public, poussé d'un caprice bizarre,
Admire aveuglément le singulier, le rare,
Je prétends lui produire, en un terme prescrit,
Pour un homme d'honneur cent personnes d'esprit;
J'entends ici l'honneur pris dans un sens sévère,
Qui ne brilla jamais dans une âme vulgaire.
Le monde de nos mœurs juge légèrement,
Il condamne, il approuve, et, sans discernement,
Trouve la probité, la bonté, la prudence
Où le sage éclairé n'en voit pas l'apparence.
Le nonchalant Simon passe pour vertueux,
S'il n'est point criminel, c'est qu'il est paresseux;
Le sot Afranius d'aucun mal ne s'avise,
Ce n'est point sentiment, dans le fond c'est bêtise;
Le scélérat Damon craint d'être confondu,
Ses vices sont couverts du lard de la vertu,
Si vous sondez son cœur, ce n'est qu'hypocrisie.
Plein d'un meilleur esprit, l'âme du vrai saisie,
Varus combat le charme et l'abus des plaisirs,
Réprime l'intérêt, étouffe ses désirs,
Rabaisse son orgueil, lutte contre lui-même,
Et sert le genre humain, qu'il déplore et qu'il aime.
Telles sont les vertus d'un digne citoyen,
Tel doit être tout sage et tout homme de bien.
Ce caractère heureux, cette vertu si rare,
C'est le plus beau présent dont la nature avare
Ait honoré jamais la faible humanité.
Oui, mortel généreux, exemple de bonté,
Oui, mon âme attendrie, admirant ta sagesse,
Pardonne, en ta faveur, aux vices de l'espèce.
Tandis que tant d'humains sont faibles, chancelants,
Pareils à ces roseaux agités par les vents,
Mon héros, tel qu'un chêne affermi dans la terre,