<128>Stenbock, qui avait exercé des cruautés inouïes sur les malheureux habitants d'Altona, se retira à Tönningen à l'approche des Moscovites et des Saxons. Son dessein était d'y passer l'Eyder sur la glace : son malheur voulut qu'il survint un dégel inopiné; manquant de pont pour passer, et se trouvant entouré des ennemis, il fut contraint de se rendre prisonnier avec les douze mille hommes qu'il commandait.

La perte de ces troupes, et l'ignominie que leur reddition imprimait aux armes suédoises, ne furent que des avant-coureurs de plus grands malheurs qui menaçaient ce royaume. La mauvaise conduite de ce général rejaillit principalement sur la Poméranie suédoise. Les armées moscovites et saxonnes, qui n'avaient plus d'ennemis en tête, se préparaient déjà à entrer dans cette province, qui allait de nouveau devenir le théâtre de la guerre : dans cette appréhension, le duc administrateur de Holstein, et le général Wellingk, gouverneur de la Poméranie, proposèrent au Roi de lui remettre la Poméranie suédoise en séquestre. Leur embarras était d'autant plus grand, qu'ils manquaient de troupes pour défendre cette province; et ils eurent recours à ce remède désespéré, par la haine qu'ils portaient aux Moscovites, qui les aveuglait si fort sur les intérêts de leur maître, qu'ils auraient plutôt vu passer la Poméranie entière sous la domination prussienne, qu'un seul village sous le pouvoir du Czar.

Le Roi, qui regardait les propositions de l'Administrateur et de Wellingk comme très-avantageuses, se prêta avec plaisir au séquestre de la Poméranie, se flattant que ce serait le moyen de maintenir la paix dans cette province voisine de ses États. Vingt mille Prussiens se mirent incessamment en marche, et se campèrent sur les frontières de la Poméranie, en même temps que Bassewitz, ministre du duc de Holstein, accompagné du général Arnim, que le Roi y avait envoyé, se rendit à Stettin, et ordonna, au nom de Wellingk, à Meyerfeld, qui était gouverneur de cette place, de la remettre aux Prussiens. Meyerfeld, qui connaissait la façon de penser de son maître, refusa d'obéir, et demanda du temps pour qu'il pût recevoir de la régence de Stockholm des instructions positives sur la conduite qu'il devait tenir. La désobéissance de Meyerfeld était un témoignage authentique