<127>saisissait les plus grands objets, et connaissait mieux les intérêts de l'État qu'aucun de ses ministres ni de ses généraux.

Si des hasards peuvent faire naître les plus grandes idées, nous pouvons dire que des officiers anglais donnèrent lieu à Frédéric-Guillaume de former les projets qu'il exécuta dans la suite. Ce prince fit dans sa jeunesse les campagnes de Flandre, et comme il assistait au siége de Tournai, il trouva deux généraux anglais qui disputaient vivement ensemble : l'un soutenait que le roi de Prusse aurait de la peine à payer quinze mille hommes sans subsides, et l'autre soutenait qu'il en pouvait entretenir vingt mille. Le jeune prince, tout en feu, leur dit : « le roi mon père en entretiendra trente mille lorsqu'il le voudra. » Les Anglais prirent cette réponse pour la saillie d'un jeune homme ambitieux, qui relevait avec exagération les avantages de sa patrie; mais Frédéric-Guillaume, parvenu au trône, prouva plus qu'il n'avait avancé, et la bonne administration de ses finances fit que, dès la première année de son règne, il entretint cinquante mille hommes, sans qu'aucune puissance lui payât des subsides.

La paix d'Utrecht, qui avait apaisé en partie les troubles qui agitaient le Sud, n'empêchait pas que la guerre ne continuât dans le Nord, entre Charles XII, qui était encore prisonnier à Adrianople, et le Czar, le roi Auguste, et Frédéric IV de Danemark, qui s'étaient ligués contre lui.

Frédéric-Guillaume ne voulait point se mêler des troubles du Nord; et, à l'exemple de son père, il observa une exacte neutralité. La situation avantageuse dans laquelle il se trouvait, le nombre de ses troupes, et le besoin que l'on avait de son assistance, le firent rechercher des deux partis. Il voyait que la nature et le voisinage de cette guerre l'obligerait tôt ou tard de s'en mêler : mais il ne perdait rien pour attendre, et peut-être voulut-il voir de quel côté tournerait la fortune, avant que de prendre des engagements qui le lieraient dans la suite.

Cette fatalité, que le vulgaire appelle hasard, les théologiens, prédestination, et dont les sages rejettent la cause sur l'imprudence des hommes, cette fatalité, dis-je, s'opiniâtrait encore également à persécuter Charles XII. Tandis que ce roi perdait son temps à cabaler contre le Czar à Constantinople, son général