<93> cruel d'Orco, son sous-tyran; il fit assassiner, par une affreuse trahison, à Sinigaglia, quelques princes dont il croyait la vie contraire à ses intérêts; il fit noyer une dame vénitienne dont il avait abusé. Mais que de cruautés ne se commirent point par ses ordres, et qui pourrait compter tout le nombre de ses crimes! Tel était l'homme que Machiavel préfère à tous les grands génies de son temps et aux héros de l'antiquité, et dont il trouve la vie et les actions dignes de servir d'exemple à ceux qu'élève la fortune.

Mais je dois combattre Machiavel dans un plus grand détail, afin que ceux qui pensent comme lui ne trouvent plus de subterfuges, et qu'il ne reste aucun retranchement à leur méchanceté.

César Borgia fonda le dessein de sa grandeur sur la dissension des princes d'Italie. Pour usurper tous les biens de mes voisins, il faut les affaiblir; et pour les affaiblir, il faut les brouiller : telle est la logique des scélérats.

Borgia voulait s'assurer d'un appui; il fallut donc qu'Alexandre VI accordât dispense de mariage à Louis XII, pour qu'il lui prêtât son secours. C'est ainsi que tant de politiques se sont joués du monde, et qu'ils ne pensaient qu'à leurs intérêts lorsqu'ils paraissaient le plus attachés à celui du ciel. Si le mariage de Louis XII était de nature à être rompu, le pape l'aurait dû rompre, supposé qu'il en eût eu le pouvoir; si ce mariage n'était pas de nature à être rompu, rien n'aurait dû y déterminer le chef de l'Église romaine.

Il fallait que Borgia se fît des créatures; aussi corrompit-il la faction des Urbins par des présents. Mais ne cherchons point des crimes à Borgia, et passons-lui ses corruptions, ne fût-ce que parce qu'elles ont du moins quelque fausse ressemblance avec les bienfaits. Borgia voulait se défaire de quelques princes de la maison d'Urbin, de Vitellozzo, d'Oliverotto de Fermo, etc.; et Machiavel dit qu'il eut la prudence de les faire venir à Sinigaglia, où il les fit périr par trahison.