<94>Abuser de la bonne foi des hommes, user de ruses infâmes, trahir se parjurer, assassiner, voilà ce que le docteur de la scélératesse appelle prudence. Mais je demande s'il y a de la prudence aux hommes de montrer comme on peut manquer de foi, et comme on peut se parjurer. Si vous renversez la bonne foi et le serment, quels seront les garants que vous aurez de la fidélité des hommes? Donnez-vous des exemples de trahison, craignez d'être trahi; en donnez-vous d'assassinat, craignez la main de vos disciples.

Borgia établit le cruel d'Orco gouverneur de la Romagne, pour réprimer quelques désordres; Borgia punit avec barbarie en d'autres de moindres vices que les siens. Le plus violent des usurpateurs, le plus faux des parjures, le plus cruel des assassins et des empoisonneurs condamne aux plus affreux supplices quelques filous, quelques esprits remuants qui copiaient le caractère de leur nouveau maître en miniature et selon leur petite capacité.

Ce roi de Pologne dont la mort vient de causer tant de troubles en Europe agissait bien plus conséquemment et plus noblement envers ses sujets saxons. Les lois de Saxe condamnaient tout adultère à avoir la tête tranchée. Je n'approfondis point l'origine de cette loi barbare, qui paraît plus convenable à la jalousie italienne qu'à la patience allemande. Un malheureux transgresseur de cette loi est condamné. Auguste devait signer l'arrêt de mort; mais Auguste était sensible à l'amour et à l'humanité : il donna sa grâce au criminel, et il abrogea une loi qui le condamnait tacitement lui-même.

La conduite de ce roi était d'un homme sensible et humain; César Borgia ne punissait qu'en tyran féroce. Borgia fait mettre ensuite en pièces le cruel d'Orco, qui avait si parfaitement rempli ses intentions, afin de se rendre agréable au peuple en punissant l'organe de sa barbarie. Le poids de la tyrannie ne s'appesantit jamais davantage que lorsque le tyran veut revêtir les dehors de l'innocence, et que l'oppression se fait à l'ombre des lois.