<331> mortel. Une certaine prédilection pour une nation, une aversion pour une autre, des préjugés de femme, des querelles particulières, de petits intérêts, des minuties, ne doivent jamais éblouir les yeux de ceux qui gouvernent des peuples entiers. Il faut qu'ils visent au grand, et qu'ils sacrifient sans balancer la bagatelle au principal. Les grands princes se sont toujours oubliés eux-mêmes pour ne songer qu'au bien commun, s'entend qu'ils se sont soigneusement sevrés de toute prévention, pour mieux embrasser leurs véritables intérêts. L'éloignement que témoignèrent les successeurs d'Alexandre à se réunir contre les Romains était semblable à l'aversion qu'ont quelques personnes contre une saignée, dont l'omission peut les faire tomber dans une fièvre chaude ou leur causer un vomissement de sang, après quoi les remèdes ne sont souvent plus applicables. Ainsi l'impartialité et un esprit débarrassé de préjugés est aussi nécessaire en politique qu'en justice : dans l'une, pour se conduire sans cesse selon que le veut la sagesse; dans l'autre, pour ne jamais léser l'équité.

Le monde serait bien heureux, si l'on n'avait d'autres moyens que celui de la négociation pour maintenir la justice et pour rétablir la paix parmi les nations. On emploierait les arguments au lieu d'armes, et l'on s'entre-disputerait au lieu de s'entr'égorger. Une fâcheuse nécessité oblige les princes d'avoir recours à une voie beaucoup plus cruelle, plus funeste et plus odieuse; il y a des occasions où il faut défendre par les armes la liberté des peuples qu'on veut opprimer par injustice, où il faut obtenir par la violence ce que l'iniquité des hommes refuse à la douceur, et où les souverains, nés arbitres de leurs démêlés, ne sauraient les vider qu'en mesurant leurs forces et commettant leur cause au sort des batailles. C'est en des cas pareils que ce paradoxe devient véritable, qu'une bonne guerre donne et affermit une bonne paix.

Examinons à présent en quelle occasion les souverains peuvent entreprendre des guerres sans avoir à se reprocher le sang de leurs