<330> montrer les avantages d'une conduite discrète et le profit qu'on peut retirer de l'adresse, pourvu qu'on ne s'en serve point pour rien d'indigne et de malhonnête.

C'est donc une règle générale que les princes doivent choisir les esprits les plus transcendants pour les employer dans des négociations difficiles; qu'il faut des hommes qui soient non seulement rusés et souples pour s'insinuer, mais qui aient le coup d'œil assez fin pour lire dans les yeux les secrets des cœurs, et pour juger, par les gestes et par les moindres démarches, les intentions secrètes des autres, afin que rien n'échappe à leur pénétration, et que tout se découvre par la force de leur raisonnement.

Les souverains ne devraient se servir des ruses et des finesses que de la manière dont une ville nouvellement investie se sert des feux d'artifice, simplement pour découvrir les desseins de leurs ennemis. D'ailleurs, s'ils font sincèrement profession de probité, ils se concilieront infailliblement la confiance de l'Europe; ils seront heureux sans fourberie, et puissants par leur seule vertu. La paix et le bonheur d'un pays est le but naturel des négociations; c'est un centre où les chemins différents de la politique doivent tous se réunir.

La tranquillité de l'Europe se fonde principalement sur le maintien de ce sage équilibre par lequel la force supérieure de quelques souverains est contre-balancée par les forces réunies de quelques autres puissances. Si cet équilibre vient à manquer, il est à craindre qu'une révolution générale n'arrive, et qu'une nouvelle monarchie ne s'établisse sur les débris des princes que leur désunion rend faibles et impuissants.

La politique des princes de l'Europe semble donc exiger d'eux qu'ils ne perdent jamais de vue les négociations, les traités et les alliances par lesquels ils peuvent établir l'égalité entre les princes les plus formidables, et qu'ils évitent avec soin tout ce qui peut semer entre eux la zizanie et la désunion, comme leur étant tôt ou tard