<59> M. de Mardefeld s'aperçut à regret que les guinées anglaises commençaient à gagner plus de crédit chez ce ministre que les écus prussiens. Dans tous les projets que l'on forme, il faut se contenter des à peu près : l'alliance de la Russie n'était pas telle qu'on aurait pu la désirer; mais en poussant la guerre avec vigueur, le Roi pouvait espérer de la finir, avant que la Russie, lente dans ses résolutions, en eût pris d'assez décisives pour le gêner dans ses opérations de campagne.

Tel était l'arrangement général qui fut pris pour entrer en Bohême, et pour forcer la Reine à rappeler ses troupes de l'Alsace. La grande armée prussienne devait entrer sur trois colonnes en Bohême; celle que le Roi voulut conduire, devait longer la rive gauche de l'Elbe, en la remontant jusqu'à Prague; la seconde, sous la conduite du prince Léopold d'Anhalt, devait traverser la Lusace, et, gardant l'Elbe à droite, se rendre en même temps à Prague : ces colonnes couvraient l'artillerie, et des vivres pour trois mois, qu'on avait embarqués sur l'Elbe pour les conduire à Leitmeritz. Le maréchal de Schwerin, avec une troisième colonne, devait déboucher de la Silésie par Braunau, et se joindre au reste de l'armée, pour former en même temps l'investissement de Prague. Outre cette armée, le vieux prince d'Anhalt avait un corps de dix-sept mille hommes dont il couvrait l'Électorat, et M. de Marwitz commandait vingt-deux mille hommes destinés pour la défense de la Haute-Silésie. L'Empereur avait fait expédier des lettres réquisitoriales au roi de Pologne, électeur de Saxe, pour lui demander le passage par ses États pour ses troupes auxiliaires de Prusse pour entrer en Bohême. Auguste était alors à Varsovie. Ces lettres furent insinuées à ses ministres, qui régentaient la Saxe en son absence, par ce Winterfeldt qui avait négocié à Pétersbourg, et s'était si fort distingué dans les premières campagnes. Les Saxons furent étourdis de cette proposition : ils voulaient gagner du temps, mais les Prussiens étaient déjà sur leur territoire. Ils protestèrent et se récrièrent inutilement contre une démarche dont le