25. DU COMTE DE ROTTEMBOURG.

Paris, 17 mai 1744.



Sire,

J'espère que Votre Majesté aura bien reçu ma dépêche du 4 de ce mois, et la lettre que j'ai eu l'honneur de lui écrire du 11 du courant, par lesquelles elle aura vu tous les détails qui regardent ce pays-ci.

J'ai dîné il y a deux jours avec le cardinal Tencin, qui m'a parlé beaucoup de V. M. et de l'abbé Schaffgotsch. Il m'a montré une lettre<598> en original du pape, qui se plaint bien amèrement de ce que vous l'avez fait élire coadjuteur de Breslau.598-a Ce pauvre saint-père fait le diable pour s'opposera cette élection. Il dit dans sa lettre que vous auriez pu prendre, Sire, qui vous auriez voulu, excepté ledit abbé, qui mène, selon lui, une vie peu convenable pour être à la tête d'un évêché. J'ai pris vivement son parti, et j'ai assuré à M. le cardinal Tencin, qui est ami intime du pape, que l'abbé Schaffgotsch se conduit fort convenablement à son état, et qu'il n'avait jamais fait d'autre crime à Rome que d'avoir été reçu franc-maçon dans le temps qu'il ne savait point que le saint-siége avait fait une défense pour l'être.598-b J'ai fait de mon mieux pour engager M. le cardinal d'écrire en sa faveur au pape, et je lui ai fait sentir en même temps qu'il était nécessaire pour la religion catholique que l'évêque de Breslau eût le bonheur d'être bien avec vous, Sire.

J'ai eu l'honneur de mander à V. M. que le roi de France était arrivé à son armée, en Flandre. Le 14 de ce mois, toutes les troupes se sont rassemblées proche de Lille; le 15, S. M. en a fait la revue; le 16, la séparation du corps que le comte de Saxe commandera se doit être faite, pour servir de corps d'observation; et le 17, le Roi doit avoir marché avec toute son armée pour investir Menin, dont on fera le siége, qui, selon les apparences, ne durera pas plus de huit ou dix jours. Les lettres que j'ai reçues de mes amis de l'armée, et qui sont des gens vrais, disent que l'armée est fort belle. Le Roi a sous ses ordres, en Flandre, en campagne cent seize bataillons qui sont presque complets, et deux cent huit escadrons en bon état. Voilà une grande armée, à même d'entreprendre de belles choses. Il faudra voir comme elle agira; le temps nous l'apprendra. On ne doute pas<599> que le Roi veut agir avec vigueur, et il y a beaucoup de bonne volonté dans le soldat et dans l'officier. Les Français ont une artillerie considérable en campagne, en Flandre; elle consiste en cent vingt pièces de vingt-quatre livres de balle, et deux cents de six à douze livres de balle; voilà assurément de quoi foudroyer une ville.

Voilà M. le prince de Conti le maître de tout le comté de Nice et de Villefranche; on espère ici que le roi de Sardaigne, qui se voit si maltraité, et une grande partie de son infanterie défaite et dissipée, et ne voyant pas arriver du secours par le prince de Lobkowitz, il pourra bien prendre le parti de s'accommoder avec cette cour et l'Espagne, en lui donnant un avantage considérable dans le Milanais; du moins le bruit en court ici très-fort.

J'envoie ci-joint à V. M. la lettre du roi de France à l'archevêque de Paris pour faire chanter le Te Deum. Il y a eu ici des réjouissances publiques au sujet des avantages remportés par les Français contre le roi de Sardaigne.

Je vous ai acheté, Sire, un beau et magnifique tableau de Lancret, représentant le Théâtre italien avec toutes sortes de figures agréables et bien finies; il me coûte douze cents livres. Je cherche quelques tableaux de Watteau; j'en trouve bien quelques-uns de cet auteur; niais ils ne sont pas bien finis, et sur ces derniers temps ces tableaux paraissent comme des essais, ce qui ne fait pas mon affaire. J'espère pourtant que je trouverai encore, avant que je parte, ce que je cherche pour vous. Je finis en vous renouvelant le profond respect avec lequel je suis, etc.


598-a Voyez t. XIX, p. 430.

598-b Le pape Clément XII (Corsini) condamna les francs-maçons. et défendit aux catholiques d'entrer dans leur société, par son bref du 4 mai 1738, commençant par les mots : In eminenti. Voyez Bullarium Magnum Romanum, Luxemburgi, 1754 t. XVIII, p. 212-214..