<74> critiques de la Bible; lui-même il gémit de leur audace, et il paraît n'avoir fait cet ouvrage que dans le dessein qu'on le réfute. On a tant dit de choses dans ce siècle contre la religion! Ses Commentaires sur la Bible sont moins forts qu'une infinité d'autres ouvrages qui font crouler tout l'édifice, en sorte qu'on a de la peine à le relever. Mais il est plus aisé de condamner un livre à être brûlé que de le réfuter. Si l'on parlait sérieusement en France de mes chapelains, on rirait au nez de mon ministre, tant ma réputation est mal établie en fait d'orthodoxie. Cependant Voltaire me fait de la peine; son abattement perce dans ses lettres. Il faut qu'on le chicane sur ses établissements de Ferney; il ajoute qu'il a perdu un procès, qu'il est ruiné, et qu'il terminera ses vieux jours dans la misère. C'est l'énigme du sphinx; il faudrait un autre Œdipe pour l'expliquer.

Tout ce qui arrive à Voltaire me fait venir une réflexion assez vraie malheureusement : qu'on fait souvent des vœux inconsidérés en souhaitant une longue vie à ses amis. Si Pompée était mort à Tarente, où il fut attaqué d'une fièvre chaude violente, il aurait été enterré avec toute sa réputation, et n'aurait pas vu périr sa république. Si le fameux Swift était mort à temps, ses domestiques ne l'auraient pas montré pour de l'argent lorsqu'il devint imbécile.a Si Voltaire était mort l'année passée, il n'aurait pas essuyé tous les chagrins dont il se plaint si amèrement. Laissons donc agir les vagues destinées, et, sans nous embarrasser de la durée de notre course, contentons-nous de souhaiter qu'elle soit heureuse.

Le neveu dont vous me félicitez n'a pas poussé sa carrière au delà de trois jours. Je pense comme je ne sais quel peuple de l'Afrique, qui pleurait à la naissance des enfants, et fêtait leur mort, parce qu'il n'y a que ceux qui meurent qui soient à l'abri des chagrins et des infortunes innombrables auxquelles les hommes sont sujets. Je ne vous dis rien au sujet de la nouvelle année; elle sera assurément heu-


a Voyez t. II, p. 16, et t. XXIII, p. 267.