<63> cas de seconder ses alliés. Ce sera probablement sur mer que les parties belligérantes exhaleront leur fureur. Vous savez que ma flotte manque de vaisseaux, de pilotes, d'amiraux et de matelots; probablement elle n'agira point; et quant à la guerre du continent, je ne vois pas comment elle aurait lieu. Votre jeune roi ne demande qu'à vivre en bonne intelligence avec tous ses voisins; s'il y a des puissances qui ont ce que les Italiens appellent la rabbia d'ambizione, il est à présumer qu'elle ne pervertira pas les bonnes et sages dispositions dans lesquelles se trouve votre jeune monarque; d'où je conclus que, après s'être battus dans les mers des deux Indes, les auteurs des troubles, lassés ou punis de leurs entreprises, feront la paix, sans que Bellone, suivie de la Discorde, trouble le reste de l'univers. Souvenez-vous, en lisant ceci, que ce n'est ni de Delphes ni de l'antre de Trophoniusa que part cet oracle, mais que ce sont des combinaisons humaines sur des contingents futurs, sujets à l'erreur.

En attendant, je me réjouis véritablement de vous voir ici; j'espère même que ce voyage vous sera salutaire, parce que tout l'est pour qui peut faire diversion à la douleur. J'en reviens toujours à l'ouvrage, que je vous recommande. Mon ami Cicéron, ayant perdu sa fille Tullie, qu'il adorait, se jeta dans la composition; il nous ditb qu'en commençant il fut obligé de se faire violence, qu'ensuite il trouva du plaisir dans son travail, et qu'enfin il gagna assez sur lui-même pour paraître à Rome sans que ses amis le trouvassent trop abattu. Voilà, mon cher d'Alembert, un exemple à suivre; si j'en savais un meilleur, je vous le proposerais. Nous sentons nos pertes par le prix que nous y mettons; le public, qui n'a rien perdu, n'en juge pas de même, et il condamne avec malignité ce qui devrait lui inspirer la plus tendre compassion. Toutes ces réflexions ne font pas aimer ce public. Faites-vous violence, mon cher; vivez, et que j'aie encore


a Cicéron, De natura deorum, liv. III, chap. 22, et De divinatione, liv. I, chap. 34.

b Lettres de Cicéron à Atticus, liv. XII, lettres 14, 15 et 23.