<321> plus généreux, du plus aimable de tous les princes, répande sur cet ouvrage un éclat qui embellisse jusqu'aux défauts mêmes; souffrez ce témoignage de mon tendre respect, il ne pourra point être soupçonné de flatterie. Voilà la seule espèce d'hommages que le public approuve. Je ne suis ici que l'interprète de tous ceux qui connaissent votre génie. Tous savent que j'en dirais autant de vous, si vous n'étiez pas l'héritier d'une monarchie.

J'ai dédié Zaïre à un simple négociant; je ne cherchais en lui que l'homme. Il était mon ami, et j'honorais sa vertu. J'ose dédier la Henriade à un esprit supérieur. Quoiqu'il soit prince, j'aime plus encore son génie que je ne révère son rang.

Enfin, monseigneur, nous partons incessamment, et j'aurai l'honneur de demander les ordres de V. A. R., dès que la chicane qui nous conduit nous aura laissé une habitation fixe. Madame du Châtelet va plaider pour de petites terres, tandis que probablement vous plaiderez pour de plus grandes, les armes à la main. Ces terres sont bien voisines du théâtre de la guerre que je crains;

Mantua vae miserae nimium vicina Cremonae!a

Je me flatte qu'une branche de vos lauriers mise sur la porte du château de Beringen le sauvera de la destruction. Vos grands grenadiers ne me feront point de mal, quand je leur montrerai de vos lettres. Je leur dirai : Non hic in proelia veni.b Ils entendent Virgile, sans doute, et s'ils voulaient piller, je leur crierais : Barbarus has segetes!c Ils s'enfuiraient alors pour la première fois. Je voudrais bien voir qu'un régiment prussien m'arrêtât! « Messieurs, dirais-je, savez-vous bien que votre prince fait graver la Henriade, et que j'appar- »


a Virgile, Bucoliques, églogue IX, v. 28.

b Allusion à l'Énéide, liv. X, v. 901 :
     .....Nec sic ad proelia veni.

c Virgile, Bucoliques, églogue I, v. 72.