26. DU MÊME.

Paris, 14 mai 1751.



Sire,

J'aurais eu l'honneur d'écrire à Votre Majesté en arrivant à Paris, si je n'avais craint de lui déplaire. Dans l'idée où j'étais qu'elle était mécontente de ma conduite, j'appréhendais qu'elle ne condamnât cette liberté. Je ne saurais exprimer la joie que j'ai ressentie lorsque M. de Chambrier m'a dit que vous aviez la bonté, Sire, de me permettre de vous écrire, puisque cela me fournit l'occasion d'assurer encore V. M. que j'ai été forcé par une maladie opiniâtre et dangereuse de ne point obéir aussi ponctuellement à ses ordres que j'eusse souhaité de le faire. Il y a environ sept mois, Sire, que j'arrivai à Paris dans un état déplorable. M. de Chambrier a dû certifier à V. M. que je ne lui en impose point, et que je ne lui en ai jamais imposé à ce sujet. Je fus obligé, par l'ordre des plus habiles médecins, d'aller passer l'hiver dans un pays extrêmement chaud. Si je n'avais pas été malade, pourquoi n'aurais-je pas passé ce même hiver à Paris, au lieu d'aller au pied des montagnes de Gênes? J'en suis revenu, Sire, il<39> y a un mois, dans la meilleure santé du monde. Mon premier soin, en arrivant à Paris, a été d'aller chez M. de Chambrier, pour savoir s'il n'avait point d'ordre à me donner; il m'a répondu qu'il ne savait rien de précis sur mon compte. Cela m'a empêché de continuer ma route jusqu'à Berlin, ne sachant si j'avais le malheur d'être entièrement disgracié de V. M. Qu'elle me permette donc de lui demander avec l'empressement le plus respectueux la grâce de m'instruire de ses ordres; je m'estimerai très-heureux, s'ils me procurent le bonheur de continuer d'être au service du meilleur maître du monde.39-a Je n'ai jamais perdu de vue, Sire, un seul instant, depuis que j'ai été éloigné de V. M., les bontés dont elle m'a honoré, et, dans tous les pays où je vivrai, elles seront également gravées dans ma mémoire. Je suis avec le plus profond respect, etc.


39-a Le marquis d'Argens était de retour à Potsdam le 26 août 1751.