<267> beaux amis qui, les bras croisés, vous disent : En vérité, je vous souhaite beaucoup de bonheur. Mais je me noie, tendez-moi donc une corde. - Non, vous ne vous noierez pas. - Si fait, je vais être submergé à l'instant. - Oh! nous espérons le contraire; mais, si cela arrivait, soyez persuadé que nous vous ferons une belle épitaphe. Tenez, marquis, voilà comme le monde est fait, et les beaux compliments dont on m'accueille de tous les côtés. Il faut que l'heureux génie de notre empire et, plus que lui, la fortune, soient nos alliés; ajoutez-y nos bras, nos jambes, la vigilance, l'activité, la valeur et la persévérance. Avec tout cela nous pourrons encore établir un équilibre dans cette balance dérangée dont M. Pitt n'a pu trouver le centre de gravité. Tout cela me fait donner au diable quatre lois par jour; ensuite j'en reviens à mon Gassendi, ensuite au troisième livre de Lucrèce, ce qui fait dans mon âme un combat singulier d'ambition et de philosophie.

Je suis si occupé du présent et de cent mille dispositions à faire, qu'à peine je pense à Sans-Souci; je ne sais si je le reverrai de ma vie. Mais vous, mon cher marquis, vous, dis-je, et la philosophie, vous faites ma consolation, mon asile et ma gloire. Pour vous donner cependant des nouvelles qui puissent vous intéresser, je vous dirai que, de ce côté-ci, tout restera tranquille jusqu'au 15 du mois de juillet, et que, si la fortune me rit peut-être entre ci et ce temps, il se frappera un coup auquel nos ennemis s'attendent le moins. Vous apprendrez bientôt ce que c'est. Tout a été très-bien calculé; reste à savoir si l'exécution y répondra. Adieu, mon cher marquis; je vous embrasse.

P. S. Pardon, mon cher marquis, et de la mauvaise écriture, et de la négligence du style; mais, quand un homme a le diable au corps, il n'écrit ni dans le goût élégiaque, ni dans le goût attique.