<191>sances possibles; tout l'édifice que j'élève sans cette précaution périt par sa base, et tombe comme une maison de cartes. Je suis bien aise que vous, philosophe, vous vous soyez convaincu, par votre petite expérience, de la difficulté qu'il y a de guider sa marche dans ces ténèbres, lorsqu'on manque de fanal et même de feux follets pour s'éclairer. Voilà pourquoi il faut juger avec indulgence les politiques et les guerriers. Il faut que l'on convienne qu'une fausse nouvelle, un mouvement de l'ennemi que le général ignore, lui font commettre nombre de fautes, et il se trouve des cas où son ignorance est invincible. Les politiques en sont logés là tout de même; la fantaisie d'un souverain, quelque intrigue de cour, la mort d'une créature chèrement achetée, détraque tout leur système, et, malgré toute leur prévoyance, ils ne peuvent empêcher la fortune d'exercer son empire. Passez-moi ces réflexions; elles peuvent me servir d'apologie et vous convaincre au moins que je ne suis pas la cause directe de toutes les sottises qu'il m'est arrivé de faire. Si je vous faisais le fidèle tableau de ma situation, vous trouveriez du premier coup d'œil les sujets des grands embarras où je suis, et vous seriez obligé d'avouer que la prudence humaine se trouve trop courte pour s'en démêler.

J'en viens au graveur. Il ne faut donner au libraire que les planches qui conviennent aux Poésies diverses, et il faut que Schmidt garde les autres.

Je vous félicite, mon cher marquis, sur vos beaux meubles. On travaille à votre service à force, et je me flatte que vous en serez très-content. J'espère qu'il sera achevé dans la quinzaine; je le ferai partir tout aussitôt, si je me trouve encore ici.

Adieu, mon cher marquis. Philosophez tranquillement à Berlin, et rendez grâces à votre étoile, qui ne vous oblige pas de philosopher sur les futurs contingents et sur les caprices des hommes. Je suis votre fidèle ami. Vale.