<19> était sur son départ; il pourra instruire V. M. de ma conduite et des marques d'amitié qu'on m'a témoignées.

J'ai vu à l'armée la comédie. Rien n'est plus pitoyable; les acteurs ne jouent point du tragique, et estropient le comique. Le nommé Drouillon, dont on a parlé à V. M., est un comédien détestable. Sa femme, qui joue les amoureuses, vaut beaucoup mieux que lui; elle est cependant mauvaise, et passe pour telle dans une troupe misérable, les bons acteurs ayant resté dans les villes principales du royaume, et n'ayant pas voulu aller courir les champs. Il y a ici, à Paris, quelques comédiennes de province qui, n'ayant pu trouver des troupes, cherchent à se placer; elles ne valent guère mieux que celles que j'ai vues à l'armée. Il est venu ce matin chez moi une nommée de Barnaud, qui s'est présentée pour jouer les premières amoureuses; elle a quarante ans, il lui manque cinq ou six dents, et elle est d'une figure aussi aimable que madame de Hauteville.a Je n'ai pas manqué, Sire, de lui promettre que je vous instruirais de l'envie qu'elle a d'aller à Berlin, et je m'acquitte de ma promesse. Je rapporte tout ceci à V. M. pour lui faire sentir la nécessité de patienter encore quelque temps. Je trouverai ou à Rouen, ou à Lyon, ou à Marseille, ou à Strasbourg, quelque excellent sujet. C'est là où il le faut chercher; ailleurs il n'y a que le rebut des troupes de ces villes. Quant au théâtre de Paris, il est impossible d'en faire sortir des acteurs sans des sommes considérables, et l'on en peut trouver en province d'aussi bons. J'attends sur cela la réponse de V. M.

La Muse de la danse est arrivée en fort bonne santé à Paris; je l'ai remise à sa cousine, la Salle.b Je suis fort content de sa conduite; elle a refusé de danser à l'armée, malgré les sollicitations de plusieurs seigneurs qui l'ont vue et reconnue à Liége; il faut qu'elle continue de même à Paris. La Laurette n'est point ici, et n'y a point été; j'ajou-


a Voyez la lettre de Frédéric à Voltaire, du 18 décembre 1746.

b Mademoiselle Sallé, célèbre danseuse. Voyez t. XVIII, p. 102.