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22. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 29 janvier 1742.



Sire,

Votre Majesté, fût-elle aux trousses des Autrichiens, voudra bien me permettre de la féliciter sur l'empereur qu'elle a fait élire, et dont elle va conserver les États. Les Césars donnaient tantôt un roi aux Daces, et tantôt aux Parthes; V. M. donne un empereur à la plus puissante partie de l'Europe. Voilà encore une bataille que V. M. a fait perdre à la reine de Hongrie à Francfort, bataille après laquelle il faut bien qu'elle songe sérieusement à la paix. Ce ne sera pas cette Paix que nous peignent les poëtes, déesse aimable, mère des arts et de l'abondance, et suivie des plaisirs; mais un squelette de divinité mutilé en grande partie et tout estropié, enfant de la dure Nécessité. Ils voient maintenant à Vienne, Sire, la prophétie de V. M. accomplie dans toute sa plénitude; et il n'a fallu pour cela ni des siècles, ni les semaines de Daniel. Cet homme,a Sire, dont V. M. a battu le prince par des manœuvres d'esprit si élégantes et si fines, a dit une chose, d'ailleurs, que V. M. vient de fortement prouver : qu'il fait beau de prophétiser quand on est inspiré par soixante mille hommes. Voilà donc V. M. roi prophète autant par sa science dans la musique et par la beauté de ses vers que par l'accomplissement de ses prédictions, et plus prophète encore par rapport à la force de l'inspiration. Je ne sais pas, au reste, si ce roi tant vanté gagnait, en passant, les cœurs d'une ville entière, comme V. M. vient de faire à Dresde. Elle s'est élevé un temple dont tous les honnêtes gens aimables sont les sacrificateurs, et qui retentit continuellement du concert harmonieux de ses louanges. On se flatte, Sire, que V. M. va repasser par ici après sa belle expédition, dans laquelle elle va imiter César par la profon-


a Machiavel.