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33. A LA MÊME.

Leipzig, 11 décembre 1762.



Madame,

Je reconnais votre bonté et votre indulgence, mon adorable duchesse; c'est elle qui m'enhardit, et qui m'en rend quelquefois très-indigne. La seule qualité que j'aie est d'avoir un instinct qui connaît le mérite, et une âme qui honore la vertu. Voilà ce qui m'a subjugué dès que j'ai eu le bonheur de vous connaître, et voilà ce qui m'attache à votre personne pour la vie. Hélas! madame, un mot que j'ai lâché en passant vous a donné de l'ouvrage plus qu'il n'en fallait. Que je me repens d'avoir lâché ce mot! Pour vous donner une idée de ma situation vis-à-vis de l'Angleterre, vous saurez, madame, que nos traités sont bien différents de la conduite que le ministère britannique tient actuellement envers moi. Il y était stipulé de ne faire ni paix ni trêve sans le consentement de ses alliés. Le reste roulait sur une garantie solennelle et réciproque de toutes nos possessions. J'ai été le seul des alliés de l'Angleterre dont elle sacrifie les intérêts, car les Autrichiens vont se mettre incessamment en possession du duché de Clèves; même M. Bute négocie de tous côtés pour me susciter des ennemis, et pour m'obliger à faire une paix humiliante et désavantageuse. Vous ne sauriez dire des vérités aussi dures à la princesse de Galles sans qu'elle s'en choque; ainsi je crois que le meilleur est de n'en point parler, d'autant plus que les intérêts de l'Allemagne et ceux de la religion protestante sont des arguments dont ce maudit Bute ne fait aucun cas. Il a même déclaré qu'il fallait établir pour principe que l'Angleterre devait en toute occasion sacrifier ses alliés aux intérêts nationaux. Après cela, madame, que nous reste-t-il à dire, sinon que, en renonçant aux sentiments d'honneur et de bonne foi, un traître peut commettre des perfidies sans en rougir, à l'abri de l'impunité dont il jouit par ses charges?