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12. AU MÊME.

Remusberg, 28 octobre 1740.

Mon cher Algarotti, je conviens de très-bon cœur que mon Machiavel contient les fautes que vous m'indiquez; je suis même très-persuadé qu'on pourrait y ajouter et y diminuer une infinité de choses qui rendraient le livre beaucoup meilleur qu'il n'est. Mais la mort de l'Empereur fait de moi un très-mauvais correcteur. C'est une époque fatale pour mon livre, et peut-être glorieuse pour ma personne. Je suis bien aise que le gros du livre vous ait plu; je fais plus de cas du suffrage d'un homme sensé et pénétrant que de l'éloge ou du blâme du vulgaire des auteurs,

De tous ces vils auteurs dont la vaine cohue
Croasse dans la fange aux pieds de l'Hélicon,
Se poursuit par envie, et se traîne en tortue
Sur les pas d'Apollon.

Vous pouvez garder le livre en toute sûreté, car j'en ai reçu aujourd'hui une vingtaine d'exemplaires.

Nous faisons ici tout doucement les Césars et les Antoines,a en attendant que nous puissions les imiter plus réellement. C'est ce que l'on appelle peloter en attendant partie.

Je suis bien aise que les images de ces grands hommes vous aient fait plaisir au cabinet des médailles. J'aurais souhaité seulement que leur vue eût eu le mérite de vous guérir, comme on le prétend de l'image miraculeuse de la sainte dame de Lorette.

Je n'irai point à Berlin. Une bagatelle comme est la mort de l'Empereur ne demande pas de grands mouvements. Tout était prévu, tout était arrangé. Ainsi il ne s'agit que d'exécuter des desseins que j'ai roulés depuis longtemps dans ma tête.


a Frédéric avait alors l'intention de jouer avec ses amis la Mort de César, de Voltaire.