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VII. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC MAUPERTUIS. (20 JUIN 1738 - 19 NOVEMBRE 1755.)[Titelblatt]

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1. A MAUPERTUIS.

Remusberg, 20 juin 1738.



Monsieur de Maupertuis,

J'attends avec impatience le beau livre que vous m'envoyez, le fruit de vos recherches philosophiques.373-a La nature ne peut que se dévoiler à des personnes qui l'étudient avec autant de soin. Quoique le sujet traité dans cet ouvrage demande des connaissances profondes des mathématiques et de l'astronomie spéculative, j'en ferai cependant avec plaisir la lecture, en me réservant le droit de vous demander l'explication des endroits que je n'entendrai point. Je suis,



Monsieur de Maupertuis,

Votre très-affectionné
Federic.

2. AU MÊME.

(Juin 1740.)

Mon cœur et mon inclination excitèrent en moi, dès le moment que je montai sur le trône, le désir de vous avoir ici, pour que vous donnassiez à l'Académie de Berlin la forme que vous seul pouvez lui<374> donner. Venez donc, venez enter sur ce sauvageon la greffe des sciences, afin qu'il fleurisse. Vous avez montré la figure de la terre au monde; montrez aussi à un roi combien il est doux de posséder un homme tel que vous, etc.

3. DE MAUPERTUIS.

Berlin, 15 janvier 1746.



Sire,

Votre Majesté pourrait croire que j'ai perdu de vue l'objet pour lequel elle m'a pris à son service, si je ne lui parlais de son Académie. J'aurais honte de mon loisir et des bienfaits mêmes dont V. M. m'honore, si je ne pouvais les mériter. Je vois beaucoup de contradiction et de mécontentement dans la manière dont cette compagnie est administrée, fort peu d'espérance pour le succès de ses ouvrages. Je ne puis cependant remédier à rien, pas même assister à ses assemblées, jusqu'à ce que V. M. m'ait fait expédier la patente pour la place de président,374-a que je n'ai encore que par les appointements et par le billet de V. M., dont je n'oserais pas me servir sans son ordre.

Cette place, rendue d'abord honorable par Leibniz, ridicule ensuite par Gundling, et enfin médiocre par Jablonski, sera pour moi, Sire, ce que vous voudrez qu'elle soit. Je sens la difficulté de la bien remplir et d'exciter l'émulation parmi des gens de lettres gouvernés par des ministres d'État et des généraux d'armée que leurs seuls titres rendent supérieurs à tout le reste. J'ai cependant souvent pré<375>sidé, dans l'Académie des sciences, des ducs et des ministres; mais en France, le goût de la nation pour les sciences, et peut-être une espèce de fortune, m'avaient donné une certaine considération qu'il est impossible que je trouve ici, si vous ne me la donnez. Les sciences y sont dans un affaissement et un état d'humilité marqués par le règlement même de l'Académie; on peut y dire jusqu'ici ce que Fontenelle a dit des temps gothiques de la France, où il n'était pas encore décidé si les sciences ne dérogeaient point. Je sens, Sire, que, tandis que je vous parle pour les sciences, il semble que je parle aussi pour moi; je ne vous cacherai pas même le degré d'ambition que je joins au bien de votre service. Je vous demanderai tout ce qui pourra me donner la considération et le crédit nécessaires pour le bien de l'Académie, et pour remplir avec honneur une place qui doit être honorable sous le règne d'Auguste.

Mais, s'il est permis de mettre des restrictions à vos grâces et des limites aux fonctions qui regardent votre service, j'oserai prier V. M. de me dispenser d'une partie d'administration dont, étant étranger ici, je craindrais de ne pouvoir pas bien m'acquitter : c'est celle des deniers de l'Académie, à laquelle je voudrais bien n'avoir aucune part.

Je suis avec le plus profond respect,



Sire,

de Votre Majesté
le très-humble et très-obéissant serviteur,
Maupertuis.

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4. DU MEME.

Berlin, 22 juillet 1748.



Sire,

Pardon, si j'occupe quelques moments de Votre Majesté par des détails académiques; un esprit universel trouve du temps pour tout, et nous attendons de V. M., qui orne nos recueils de ce qu'ils ont de plus précieux,376-a qu'elle daigne encore nous diriger de la manière de les faire paraître. La mort du sieur Haude nous met à portée de faire quelques changements avantageux dans la forme des volumes que nous donnerons désormais au public, et j'ose demander à V. M. sur cela ses lumières et ses ordres.

Nous avons certains mémoires latins dont nous ne pouvons donner que des traductions fort imparfaites, soit parce que le français n'a point plusieurs termes équivalents à ceux que les chimistes d'Allemagne ont latinisés, soit parce que nos traducteurs les ignorent. D'autres mémoires de messieurs nos gens du collége tirent une partie de leur mérite de l'élégance de leur style latin, que l'expérience nous apprend qu'ils ne conservent pas dans notre langue. Les uns et les autres de ces auteurs se plaignent des traductions, et peut-être même le public s'en plaindra-t-il aussi. J'ose donc demander à V. M. si elle approuverait que ceux de ces mémoires qui ne peuvent être traduits sans beaucoup perdre demeurassent dans la langue où ils ont été écrits, et qu'on suppléât à ce mélange de français et de latin par une histoire française qui contînt l'extrait de tout, où l'on tâcherait d'humaniser ces sublimes élégances romaines, les ténèbres de la chimie et les horreurs de l'algèbre.

J'attends les ordres de V. M. pour savoir si nous devons nous pro<377>poser ce plan ou continuer notre troisième volume comme les deux volumes précédents, et suis avec le plus profond respect,



Sire,

de Votre Majesté
le très-humble et très-obéissant serviteur,
Maupertuis.

5. A MAUPERTUIS.

Berlin. 3 janvier 1749.

Votre lettre m'est bien parvenue, et c'est à Darget que vous devez vous en prendre, si je ne vous y réponds pas plus longuement; il en est exactement la cause.377-a Voyez comme on doit dans ce monde compter sur ses amis. Ceci vous paraîtra une énigme, et c'en est une, en effet, dont vous n'aurez l'explication qu'à votre retour ici. Adieu; jouissez de tous les charmes de votre patrie, portez-vous bien, et comptez toujours sur mon estime.

Federic.

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6. AU MÊME.

Potsdam. 16 août 1751.

J'ai reçu votre lettre du 13 de ce mois avec celle du président Hénault,378-a Je joins ici ma réponse, que je vous prie de lui faire passer. Vous savez le peu d'exemplaires que j'ai fait tirer des Mémoires pour servir à l'histoire de Brandebourg,378-b et qu'il ne m'est pas possible de lui envoyer celui qu'il me demande. Je vous ferai remettre pour lui un exemplaire de l'édition de Hollande,378-c qui est belle et complète.378-d Vous me ferez plaisir de l'en prévenir, et de lui confirmer à cette occasion tous les sentiments que vous me connaissez pour lui. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

Federic.

7. AU MÊME.

Potsdam, 19 novembre 1755.

J'ai reçu votre lettre du 16 de ce mois. J'aime bien mieux vous voir en guerre avec de jeunes filles, et celles-ci en droit de vous quereller, que d'apprendre la continuation de votre maladie. Je voudrais<379> pouvoir guérir votre poitrine aussi aisément que je puis vous délivrer des poursuites de votre antagoniste. J'espère qu'elle ne s'avisera plus de vous incommoder, car, quoique j'aie ordonné au commandant de Spandow de la faire relâcher, c'est pourtant sous la commination très-sérieuse de ne jamais se vanter d'avoir eu commerce avec vous, bien moins de vous demander la moindre chose ou d'entrer dans votre maison sous quelque prétexte que ce soit, sous peine d'être enfermée de nouveau pour le reste de ses jours. Je suis persuadé que ces mesures vous délivreront pour toujours des poursuites de cette créature. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

Federic.


373-a La Figure de la terre, déterminée par les observations de MM. de Maupertuis, Clairaut, Camus, Le Monnier, Outhier et Celsius. Par M. de Maupertuis. A Paris, de l'imprimerie royale. 1738.

374-a Après la réception de cette lettre, Frédéric fit expédier, le 1er février 1746, la patente demandée, et M. de Maupertuis fut installé dans sa charge le 3 mars suivant.

376-a Voyez t. I, p. XXXVII; t. VII, p. 11; t. IX, p. II, VI, VII et X; et t. X, p. 25.

377-a Frédéric fait probablement allusion à l'impression des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, dont il était alors très-occupé, et où il se faisait aider par son secrétaire Darget.

378-a Voyez t. I, p. LI.

378-b Mémoires pour servir à l'histoire de la maison de Brandebourg. Au donjon du château, 1751, quatre cent quatre-vingt-dix-huit pages in-4.

378-c Mémoires pour servir à l'histoire de la maison de Brandebourg. A Berlin et à la Haye, chez Jean Néaulme, libraire, 1751. Avec privilége de S. M. Prussienne. Trois cent quatre-vingt-cinq pages in-4. Voyez t. I, p. XXXV—XXXVII.

378-d La Vie de Frédéric-Guillaume Ier et le traité Du Militaire manquent dans l'édition de Néaulme : mais on y trouve la Dissertation sur les raisons d'établir ou d'abroger les lois, omise dans l'édition Au donjon du château.