<314> souffrez plutôt que la vérité vous parle par ma bouche; elle ne connaît point de flatterie, et la postérité reconnaîtra un jour que c'est à elle seule que je rends ici hommage. Je conviens avec vous, monseigneur, que la louange peut séduire et corrompre même le cœur d'un prince; mais ce ne sera sûrement jamais celui d'un prince qui, comme vous, ne trouve dans la louange même la plus séduisante qu'un aliment à sa modestie; ce ne sera jamais celui d'un prince qui, sachant aussi bien que vous apprécier le vrai mérite, ne peut manquer de discerner la vraie louange de la fausse; d'un prince, enfin, qui, abhorrant la duplicité des adulateurs, est toujours prêt à démasquer et à confondre leur vile flatterie, toujours prêt à les apostropher avec la malheureuse Phèdre :

Détestables flatteurs, présent le plus funeste
Que puisse faire aux rois la colère céleste!a

Oui, monseigneur, un prince tel que vous peut recevoir sans scrupule et avec une parfaite sécurité les plus flatteurs éloges, les louanges les plus séduisantes, et même y prendre plaisir; il peut agréer le juste hommage qu'on rend à ses vertus, sans crainte d'en être ébloui; il peut même innocemment et sans aucune faiblesse prêter une oreille calme et indulgente à une louange intéressée ou artificieuse; et c'est même là le plus grand, le plus beau triomphe de sa vertu que de la sauver au travers de tous ces écueils; c'est là le gage le plus sûr qu'il puisse donner de la grandeur de son âme et de la solidité de ses vertus que de s'élever au-dessus des atteintes de la plus séduisante flatterie. Mais où m'entraîne l'enthousiasme de la vérité? Je dois craindre de déplaire à V. A. R., et cette crainte l'emporte même sur le plaisir d'épancher le plus délicieux sentiment de mon âme. Je me fais donc violence, et quoi qu'il m'en coûte à me taire, je n'achèterai jamais


a Phèdre, tragédie de Racine, acte IV, scène VI.