<78>Tandis que l'aquilon au bord des vives eaux
Courbe les tendres joncs et brise les roseaux.
Mais ces roseaux, ma sœur, de nos combats décident;
Et que peut l'officier quand leurs cœurs s'intimident?
Ainsi, dans les palais ou dans les champs de Mars,
En ce monde maudit il n'est que des hasards.
Malgré tous les calculs qui règlent sa conduite,
L'orgueilleuse raison se trouve enfin réduite
A confesser ici que l'homme, en tout borné,
Suit le torrent du sort dont il est entraîné.
Mais à quoi, dira-t-on, peut servir la prudence,
Si ses secours sont vains, ses efforts sans puissance?
Autant nous vaudrait-il, dans nos jours mal ourdis,
En secouant son joug agir en étourdis.
La prudence n'est point, il est vrai, panacée
Qui chasse tous les maux dont l'âme est oppressée;
Son art ne s'étend pas à rendre l'homme heureux,
Mais à calmer nos maux, à modérer nos vœux.
Elle cède aux rigueurs du sort qui se soulève;
C'est un fil qui conduit, mais ce n'est pas un glaive
Propre à trancher les nœuds de la difficulté.
De tant d'écueils où l'homme aurait été jeté,
Des maux qu'on aperçoit son secours nous préserve;
Sa circonspection, qui veille et nous conserve
A travers les dangers d'un pas prémédité,
Nous guide, entre la crainte et la témérité,
Par une route étroite aux humains peu commune.
Souvent sa patience a lassé la fortune;
Elle attend tout du temps, mais sans le prévenir,
Et jamais son orgueil ne régla l'avenir.