<54>Pratiquons, nous, l'art de jouir;
Et, laissant aboyer et Cerbère et l'envie,
Considérons le temps, dont le rapide cours
Nous ravit, en fuyant, les instants de la vie,
Précipite nos plus beaux jours,
Et nous entraîne, hélas! avec trop de furie
De la vive jeunesse à la caducité.
La fleur à peine éclose est aussitôt flétrie;
A peine l'homme est-il, que l'homme n'a qu'été.
Déjà votre âme est alarmée
Du ton de la réflexion :
Oui, la vie est un songe,a une vaine fumée,
Un théâtre où l'illusion
A fait un trafic de chimère.
Mais de là ma conclusion,
D'Argens, ne doit pas vous déplaire :
Ma sincère amitié vous conjure de faire
Usage du plaisir qui fuit,
A fixer d'une main légère
La jouissance passagère
Qui paraît et s'évanouit.
Que m'importe demain, quel est le jour qui suit,
Que les aveugles destinées
Nous gardent de longues années,
Répandent sur nos sens leurs divines faveurs,
Ou que, nous accablant d'infortunes cruelles,
Leurs bras appesantis nous comblent de rigueurs?
Parons toujours nos fronts de ces roses nouvelles,
Remplaçons les vrais biens par de douces erreurs,


a Voyez t. X, p. 43, et ci-dessus, p. 36.