<53>Heureux qui, retiré dans un temple à l'écart,a
Voit sous ses pieds grossir et gronder les orages,
Contemple de sang-froid les écueils, les naufrages
Où les ambitieux, vains jouets du hasard,
De leurs tristes débris vont couvrir les rivages!
Heureux, cent fois heureux le mortel inconnu
Qui, d'un esprit non prévenu,
Repoussant hardiment le poison de la gloire,
De sa coupe jamais n'a bu,
De qui le goût solide est enfin revenu
De tous ces vains lauriers que dispense l'histoire,
Et qui, par ses vertus vers son siècle acquitté,
N'élève point d'autels à sa propre mémoire,
Ne gueuse point l'encens de la postérité!
Méprisons tous ces fous qui priment sur les autres,
Marquis, ces faux plaisirs ne seront pas les nôtres :
Ah! plutôt verra-t-on d'Argens levé matin,
L'âne emporter le prix à la rapide course,
La Camasb devenir putain,
Ou l'Elbe regorgeant remonter vers sa source.
Laissons les glorieux eux-mêmes s'applaudir,
Et tandis que leur faim ne pourra s'assouvir,
Qu'entassant les projets que forme l'inconstance,
Que, morts pour le présent, ils vivent d'espérance,


a Ces vers rappellent ceux de Lucrèce, De la nature des choses, livre II, vers dont Voltaire a donné la traduction en ces termes :
     

Heureux qui, retiré dans le temple des sages,
Voit en paix sous ses pieds se former les orages,
Qui contemple de loin les mortels insensés,
De leur joug volontaire esclaves empressés, etc.

Œuvres de Voltaire

, édit. Beuchot, t. IV, p. 153; t. XIII, p. 387.

b Voyez ci-dessus, p. 23.