<81>emploient leurs dieux pour machine quand il leur manque un dénoûment. Moïse était, d'ailleurs, si peu habile, à raisonner humainement, qu'il conduisit le peuple juif pendant quarante années par un chemin qu'ils auraient très-commodément fait en six semaines; il avait très-peu profité des lumières des Égyptiens, et il était, en ce sens-là, beaucoup inférieur à Romulus, et à Thésée, et à ces héros. Si Moïse était inspiré de Dieu, comme il se voit sans doute, on ne peut le regarder que comme l'organe aveugle de la toute-puissance divine; et le conducteur des Juifs était, en ce sens, bien inférieur comme homme au fondateur de l'empire romain, au monarque persan, et aux héros qui faisaient par leur propre valeur et par leurs propres forces de plus grandes actions que l'autre n'en faisait avec l'assistance immédiate de Dieu.

J'avoue, en général, et sans prévention, qu'il faut beaucoup de génie, de courage, d'adresse et de conduite pour égaler les hommes dont nous venons de parler; mais je ne sais point si l'épithète de vertueux leur convient. La valeur et l'adresse se trouvent également chez les voleurs de grand chemin et chez les héros; la différence qui est entre eux, c'est que le conquérant est un voleur illustre, et que le voleur ordinaire est un faquin obscur; l'un reçoit des lauriers pour prix de ses violences, et l'autre, la corde.

Il est vrai que, toutes les fois que l'on voudra introduire des nouveautés dans le monde, il se présentera mille obstacles pour les empêcher, et qu'un prophète à la tête d'une armée fera plus de prosélytes que s'il ne combattait qu'avec des arguments.

Il est vrai que la religion chrétienne ne se soutenant que par les disputes fut faible et opprimée, et qu'elle ne s'étendit en Europe qu'après avoir répandu beaucoup de sang; il n'en est pas moins vrai que l'on a pu donner cours à des opinions et à des nouveautés avec peu de peine. Que de religions, que de sectes ont été introduites avec une facilité infinie! Il n'y a rien de plus propre que le fanatisme pour accréditer des nouveautés, et il me semble que Machiavel a parlé d'un ton trop décisif sur cette matière.

Il me reste à faire quelques réflexions sur l'exemple d'Hiéron de Syracuse, que Machiavel propose à ceux qui s'élèveront par le secours de leurs amis et de leurs troupes.