<175>blit vos forces, puisque la plus grande puissance d'un prince consiste dans le grand nombre d'hommes qui lui obéissent. Si vous envoyez des colonies faibles dans ce pays conquis, elles vous en garantiront mal la sûreté, puisque ce petit nombre d'hommes ne peut être comparable à celui des habitants. Ainsi vous aurez rendu malheureux ceux que vous chassez de leurs biens, sans en rien profiter.

On fait donc beaucoup mieux d'envoyer des troupes dans les pays que l'on vient de se soumettre, qui, moyennant la discipline et le bon ordre, ne pourront point fouler les peuples, ni être à charge aux villes où on les met en garnison. Je dois dire cependant, pour ne point trahir la vérité, que du temps de Machiavel les troupes étaient tout autre chose que ce qu'elles sont à présent : les souverains n'entretenaient point de grandes armées; ces troupes n'étaient pour la plupart qu'un amas de bandits, qui pour l'ordinaire ne vivaient que de violences et de rapines; on ne connaissait point alors ce que c'était que des casernes et mille autres règlements qui mettent en temps de paix un frein à la licence et au dérèglement du soldat.

Dans des cas fâcheux, les moyens les plus doux, selon moi, me paraissent toujours les meilleurs.

« Un prince doit attirer à lui et protéger les petits princes ses voisins, semant la dissension parmi eux afin d'élever ou d'abaisser ceux qu'il veut. » C'est la quatrième maxime de Machiavel, et c'est la politique d'un homme qui croirait que l'univers n'est créé que pour lui. La fourberie et la scélératesse de Machiavel sont répandues dans cet ouvrage comme l'odeur empestée d'une voirie, qui se communique à l'air d'alentour. Un honnête homme serait le médiateur de ces petits princes, il terminerait leurs différends à l'amiable, et gagnerait leur confiance par sa probité, et par les marques d'une impartialité entière dans leurs démêlés et d'un désintéressement parfait pour sa personne. Sa puissance le rendrait comme le père de ses voisins au lieu de leur oppresseur, et sa grandeur les protégerait au lieu de les abîmer.

Il est vrai, d'ailleurs, que des princes qui en ont voulu élever d'autres se sont abîmés eux-mêmes; notre siècle en a fourni deux exemples. L'un est celui de Charles XII, qui éleva Stanislas sur