<174>impunité, puisque ceux que vous dépossédez sont pauvres et incapables de se venger. Quel raisonnement! Vous êtes puissant, ceux qui vous obéissent sont faibles; ainsi vous pouvez les opprimer sans crainte. Il n'y a donc que la peur, selon Machiavel, qui puisse retenir les hommes du crime. Mais quel est donc ce droit par lequel un homme puisse s'arroger un pouvoir si absolu sur ses semblables, que de disposer de leur vie, de leurs biens, et de les rendre misérables quand bon lui semble? Le droit de conquête ne s'étend pas assurément jusque-là. Les sociétés ne sont-elles formées que pour servir de victimes à la fureur d'un infâme intéressé ou ambitieux? Et ce monde n'est-il fait que pour assouvir la folie et la rage d'un tyran dénaturé? Je ne pense pas qu'un homme raisonnable soutienne jamais une semblable cause, à moins qu'une ambition immodérée ne l'aveugle et n'obscurcisse en lui les lumières du bon sens et de l'humanité.

Il est très-faux qu'un prince puisse faire le mal impunément; car, quand même ses sujets ne l'en puniraient pas d'abord, quand même les foudres du ciel ne l'écraseraient pas à point nommé, sa réputation n'en sera pas moins déchirée du public, son nom sera cité parmi ceux qui font horreur à l'humanité, et l'abomination de ses sujets sera sa punition. Quelles maximes de politique : ne point faire le mal à demi, exterminer totalement un peuple, ou du moins le réduire, après l'avoir maltraité, à la dure sujétion de ne pouvoir désormais plus vous être redoutable, étouffer jusqu'aux moindres étincelles de la liberté, pousser le despotisme jusque sur les biens, et la violence jusque sur la vie des souverains! Non, il ne se peut rien de plus affreux. Ces maximes sont aussi indignes d'un être raisonnable que; d'un homme de probité. Comme je me propose de réfuter cet article plus au long dans le cinquième chapitre, j'y renvoie le lecteur.

Examinons à présent si ces colonies pour l'établissement desquelles Machiavel fait commettre tant d'injustices à son prince, si ces colonies sont aussi utiles que l'auteur le dit. Ou vous envoyez dans le pays nouvellement conquis de puissantes colonies, ou vous y en envoyez de faibles. Si ces colonies sont fortes, vous dépeuplez votre État considérablement, et vous chassez un grand nombre de vos nouveaux sujets de vos conquêtes, ce qui affai-