<129>la prudence de désarmer pour les premiers temps, les bourgeois d'une ville prise, principalement si l'on a quelque chose à craindre de leur part. Les Romains qui avaient conquis la Grande-Bretagne, et qui ne pouvaient la retenir en paix, à cause de l'humeur turbulente et belliqueuse de ces peuples, prirent le parti de les efféminer, afin de modérer en eux cet instinct belliqueux et farouche; ce qui réussit comme on le désirait à Rome. Les Corses sont une poignée d'hommes aussi braves et aussi délibérés que ces Anglais; on ne les domptera, je crois, que par la prudence et la bonté. Pour maintenir la souveraineté de cette île, il me paraît d'une nécessité indispensable de désarmer les habitants et d'adoucir leurs mœurs. Je dis, en passant, et à l'occasion des Corses, que l'on peut voir par leur exemple quel courage, quelle vertu donne aux hommes l'amour de la liberté, et qu'il est dangereux et injuste de l'opprimer.

La seconde question roule sur la confiance qu'un prince doit avoir, après s'être rendu maître d'un nouvel État, ou en ceux de ses nouveaux sujets qui lui ont aidé à s'en rendre le maître, ou en ceux qui ont été fidèles à leur prince légitime.

Lorsqu'on prend une ville par intelligence et par la trahison de quelques citoyens, il y aurait beaucoup d'imprudence à se fier aux traîtres, qui probablement vous trahiront; et on doit présumer que ceux qui ont été fidèles à leurs anciens maîtres le seront à leurs nouveaux souverains; car ce sont, d'ordinaire, des esprits sages, des hommes domiciliés, qui ont du bien dans le pays, qui aiment l'ordre, à qui tout changement est nuisible : cependant il ne faut se confier légèrement à personne.

Mais supposons un moment que des peuples opprimés et forcés à secouer le joug de leurs tyrans appelassent un autre prince pour les gouverner. Je crois que le prince doit répondre en tout à la confiance qu'on lui témoigne, et que s'il en manquait, en cette occasion, envers ceux qui lui ont confié ce qu'ils avaient de plus précieux, ce serait le trait le plus indigne d'une ingratitude qui ne manquerait pas de flétrir sa mémoire. Guillaume, prince d'Orange, conserva jusqu'à la fin de sa vie son amitié et sa confiance à ceux qui lui avaient mis entre les mains les rênes du