<106>tenir cette infanterie autrichienne; ils les mirent en déroute, et firent un grand massacre des fuyards. Les ennemis laissèrent plus de huit cents morts sur la place; leurs troupes irrégulières, qui étaient spectatrices de ce combat, ayant vu le triste sort des troupes réglées, s'enfuirent dans le bois en jetant des cris affreux.

Le Margrave donna dans cette journée des marques de valeur dignes du sang de son grand-père l'électeur Frédéric-Guillaume. Le général de Schwerin,a qui chargea à la tête de cette cavalerie qui défit tout de suite trois corps différents, s'acquit une réputation d'autant plus éclatante, qu'elle servit d'époque à celle de la cavalerie prussienne. C'est une chose étonnante que la promptitude avec laquelle l'audace ou la terreur se communiquent à la multitude. L'année 1741, la cavalerie des Prussiens était le corps le plus lourd, le plus pesant et en même temps le moins animé qu'il y eût dans les armées européennes; en l'exerçant, en lui donnant de l'adresse, de la vivacité, et de la confiance dans ses propres forces, il en fit l'essai : il réussit, et il devint audacieux. Les peines, les récompenses, le blâme et la louange, employés à propos, changent l'esprit des hommes, et leur inspirent des sentiments dont on les aurait crus peu susceptibles dans l'état abruti de leur nature; joignez à cela quelques grands exemples de valeur qui les frappent, comme celui que nous venons de rapporter : alors l'émulation gagne les esprits, l'un veut l'emporter sur l'autre, et des hommes ordinaires deviennent des héros. Les talents sont souvent engourdis par une espèce de léthargie : des secousses fortes les réveillent, et ils s'évertuent et se développent. Le mérite estimé et récompensé excite l'amour-propre de ceux qui en sont les témoins : dans l'ancienne Rome, les couronnes civiques et murales, et surtout les triomphes, aiguillonnaient ceux qui pouvaient prétendre à les obtenir. Il était donc nécessaire d'exalter dans l'armée la glorieuse action de Jägerndorf. Le Margrave, le général Schwerin et ceux qui s'y étaient signalés, furent reçus comme en triomphe : la cavalerie attendait avec impatience l'occasion d'égaler, même de surpasser ces héros; tous brûlaient de l'ardeur de combattre et de vaincre.


a Reimar-Jules de Schwerin, général-major, et depuis 1749 chef du régiment de dragons de Louis de Würtemberg.