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495. AU MÊME.

Potsdam, 20 octobre 1774.a

L'art de vous autres grands poëtes
Rehausse les petits objets :
De secs et décharnés squelettes,
Maniés par vos mains adraites,
Deviennent charnus et replets.
Voltaire et sa grâce efficace
M'égaleront avec Horace,
Si son génie en fait les frais.

Mais un vieux rimailleur tudesque,
Qui, dans l'école soldatesque
Nourri depuis ses jeunes ans,
A passé chez les vétérans,
Sans se guinder avec Racine
Au haut de la double colline,
Ne doit qu'arpenter ses vieux camps.

Suffit que le ciel m'ait fait naître
Dans cet âge où j'ai pu connaître
Tant de chefs-d'oeuvres immortels
Auxquels vous avez donné l'être,
Qui mériteraient des autels,
Si dans ce temps de petitesse
On pensait comme à Rome, en Grèce,
Où tout respirait la grandeur.

Mais notre siècle dégénère;
Les lettres sont sans protecteur.
Quand on aura perdu Voltaire,
Adieu beaux-arts, sacré vallon!
Et vous, Virgile et Cicéron,
Vous irez avec lui sous terre.

Vous avez parlé de l'art des rois, et vous avez équitablement jugé les morts. Pour les vivants, cela est plus difficile, parce que tout ne se sait pas, et une seule circonstance connue oblige quelquefois d'applaudir à ce qu'on avait condamné auparavant. On


a Le 16 octobre 1774. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 237.)