<110>objets d'adoration pourront changer comme vos modes de France; mais que m'importe qu'on se prosterne devant une pâte de pain azyme, devant le bœuf Apis, devant l'arche d'alliance, ou devant une statue? Le choix ne vaut pas la peine; la superstition est la même, et la raison n'y gagne rien.

Mais de se bien portera soixante-dix ans, d'avoir l'esprit libre, d'être encore l'ornement du Parnasse à cet âge, comme dans sa première jeunesse, cela n'est pas indifférent. C'est votre destin; je souhaite que vous en jouissiez longtemps, et que vous soyez aussi heureux que le comporte la nature humaine. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

393. AU MÊME.

Sans-Souci, 24 octobre 1765 (1766).a

Si je n'ai pas l'art de vous rajeunir, j'ai toutefois le désir de vous voir vivre longtemps pour l'ornement et l'instruction de notre siècle. Que serait-ce des belles-lettres, si elles vous perdaient? Vous n'avez point de successeur. Vivez donc le plus longtemps que cela sera possible.

Je vois que vous avez à cœur l'établissement de la petite colonie dont vous m'avez parlé. Je suis embarrassé comment vous répondre sur bien des articles. Cette maison de Moylanda dont vous me parlez, proche de Clèves, a été ruinée par les Français; et, autant que je me le rappelle, elle a été donnée en propriété à quelqu'un qui s'est engagé de la rétablir pour son usage. Les fermes que j'ai en ce pays-là s'amodient, et je ne saurais passer


a Il semble que cette lettre, rangée par les éditeurs de Kehl parmi celles de l'année 1765, n'ait été écrite que l'année suivante, parce que, selon M. Beuchot, ce ne fut qu'après l'exécution de La Barre, qui eut lieu en juillet 1766, que l'idée vint à Voltaire d'établir à Clèves une petite colonie de philosophes français. Voyez ci-dessus, p. 113, 114, 117, 118, 121 et suivantes.

a Voyez t. XVI, p. 221, t. XVII, p. 48, et t. XXII, p. 31.