<109>Il me souvient d'avoir lu, dans ce livre brûlé dont vous me parlez, qu'il était imprimé à Berne; les Bernois ont donc exercé une juridiction légitime sur cet ouvrage. Ils ont brûlé des conciles, des controverses, des fanatiques et des papes; à quoi j'applaudis fort, en qualité d'hérétique. Ce ne sont que des niaiseries, en comparaison de ce qui vient de se passer à Abbeville. Rôtir des hommes passe la raillerie; jeter du papier au feu, c'est humeur.

Vous devriez, par représailles, faire un auto-da-fé à Ferney, et condamner aux flammes tous les ouvrages de théologie et de controverse de votre voisinage, en rassemblant autour du brasier des théologiens de toute secte pour les régaler de ce doux spectacle. Pour moi, dont la foi est tiède, je tolère tout le monde, à condition qu'on me tolère, moi, sans m'embarrasser même de la foi des autres.

Vos missionnaires dessilleront les yeux à quelques jeunes gens qui les liront ou les fréquenteront. Mais que de bêtes, dans le monde, qui ne pensent point! que de personnes livrées au plaisir, que le raisonnement fatigue! que d'ambitieux occupés de leurs projets! sur ce grand nombre, combien peu de gens aiment à s'instruire et à s'éclairer! Le brouillard épais qui aveuglait l'humanité aux dixième et treizième siècles est dissipé; cependant la plupart des yeux sont myopes; quelques-uns ont les paupières collées.

Vous avez en France les convulsionnaires; en Hollande on connaît les fils, ici les piétistes. Il y aura de ces espèces-là tant que le monde durera, comme il se trouve des chênes stériles dans les forêts, et des frelons près des abeilles.

Croyez que si des philosophes fondaient un gouvernement, au bout d'un demi-siècle le peuple se forgerait des superstitions nouvelles, et qu'il attacherait son culte à un objet quelconque qui frapperait les sens; ou il se ferait de petites idoles, ou il révérerait le tombeau de ses fondateurs, ou il invoquerait le soleil, ou quelque absurdité pareille l'emporterait sur le culte pur et simple de l'Être suprême.

La superstition est une faiblesse de l'esprit humain; elle est inhérente à cet être; elle a toujours été, elle sera toujours. Les