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390. AU MÊME.b

(Août 1766.)

Je crois que vous avez déjà reçu les lettres que je vous ai écrites sur le sujet des émigrants. Il ne dépend que des philosophes de partir, et d'établir leur séjour dans le lieu de mes États qui leur conviendra le mieux. Je n'entends plus parler de Tronchin;c je le crois parti, et, supposé qu'il soit encore ici, cela ne le rendra pas plus instruit de ce qui se passe chez moi et de ce que je vous écris. Quant à ceux de Berne,d je suis très-résolu à les laisser brûler des livres, s'ils y trouvent du plaisir, parce que tout le monde est maître chez soi; et qu'importe à nous autres qu'ils brûlent M. de Fleury? N'avez-vous pas fait passer par les flammes les cantiques de Salomon pour les avoir mis en beaux vers français?a Lorsque les magistrats et les théologiens se mettent en train de brûler, ils jetteraient la Bible au feu, s'ils la rencontraient sous leurs mains. Toutes ces choses qui viennent d'arriver aux Calas, aux Sirven, et en dernier lieu à Abbeville, me font soupçonner que la justice est mal administrée en France, qu'on se précipite souvent dans les procédures, et qu'on s'y joue de la vie des hommes. Le président Montesquieu était prévenu pour cette jurisprudence, qu'il avait sucée avec le lait; cela ne m'empêche pas d'être persuadé qu'elle a grand besoin d'être réformée, et qu'il ne faut jamais laisser aux tribunaux le pouvoir d'exécuter des sentences de mort avant qu'elles n'aient été revues par des tribunaux suprêmes, et signées par le souverain. C'est une chose pitoyable que de casser des arrêts et des sentences quand les victimes ont péri; il faudrait punir les juges, et les restreindre avec tant d'exactitude, qu'on n'eût pas désormais de pareilles rechutes à craindre. Sancho Pança était un grand juris-


b Cette lettre est tirée des Œuvres posthumes, t. X, p. 7-12.

c Fils du célèbre médecin de Genève. Voyez ci-dessus, p. 22, 32, 46, 52, 59, 66 et 103.

d On avait brûlé à Berne l'Abrégé de l'Histoire ecclésiastique de Fleury, avec la Préface du Roi. Voyez t. VII, p. VI et VII.

a Voyez ci-dessus, p. 78.