<104>commettre. Gardons-nous d'introduire le fanatisme dans la philosophie; son caractère doit être la douceur et la modération. Elle doit plaindre la fin tragique d'un jeune homme qui a commis une extravagance; elle doit démontrer la rigueur excessive d'une loi faite dans un temps grossier et ignorant; mais il ne faut pas que la philosophie encourage à de pareilles actions, ni qu'elle fronde des juges qui n'ont pu prononcer autrement qu'ils l'ont fait.

Socrate n'adorait pas les deos majorum et minorum gentium; toutefois il assistait aux sacrifices publics. Gassendi allait à la messe, et Newton au prône.

La tolérance, dans une société, doit assurer à chacun la liberté de croire ce qu'il veut; mais cette tolérance ne doit pas s'étendre à autoriser l'effronterie et la licence de jeunes étourdis qui insultent audacieusement à ce que le peuple révère. Voilà mes sentiments, qui sont conformes à ce qu'assurent la liberté et la sûreté publique, premier objet de toute législation.

Je parie que vous pensez, en lisant ceci : Cela est bien allemand, cela se ressent bien du flegme d'une nation qui n'a que des passions ébauchées.

Nous sommes, il est vrai, une espèce de végétaux, en comparaison des Français; aussi n'avons-nous produit ni Jérusalem délivrée, ni Henriade. Depuis que l'empereur Charlemagne s'avisa de nous faire chrétiens en nous égorgeant, nous le sommes restés; à quoi peut-être a contribué notre ciel toujours chargé de nuages, et les frimas de nos longs hivers.

Enfin prenez-nous tels que nous sommes. Ovide s'accoutuma bien aux mœurs des peuples de Tomes; et j'ai assez de vaine gloire pour me persuader que la province de Clèves vaut mieux que le lieu où le Danube se jette par sept bouches dans la mer Noire.a Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.


a

Par sept bouches l'Euxin reçoit le Tanaïs.

Boileau,

Art poétique

, chant III, v. 138.