<8>de fiel et d'orgueil, à proportion qu'elle est vide de vérités. Ils voudraient troubler la terre pour un sophisme, et intéresser tous les rois à venger par le fer et par le feu l'honneur d'un argument in ferio ou in barbara.

Tout être pensant qui n'est pas de leur avis est un athée, et tout roi qui ne les favorise pas sera damné. Vous savez, monseigneur, que le mieux qu'on puisse faire, c'est d'abandonner à eux-mêmes ces prétendus précepteurs et ces ennemis réels du genre humain. Leurs paroles, quand elles sont négligées, se perdent en l'air comme du vent; mais, si le poids de l'autorité s'en mêle, ce vent acquiert une force qui renverse quelquefois le trône.

Je vois, monseigneur, avec la joie d'un cœur rempli d'amour pour le bien public, la distance immense que vous mettez entre les hommes qui cherchent en paix la vérité, et ceux qui veulent faire la guerre pour des mots qu'ils n'entendent pas. Je vois que les Newton, les Leibniz, les Bayle, les Locke, ces âmes si élevées, si éclairées et si douces, sont ceux qui nourrissent votre esprit, et que vous rejetez les autres aliments prétendus, que vous trouveriez empoisonnés ou sans substance.

Je ne saurais trop remercier V. A. R. de la bonté qu'elle a eue de m'envoyer le petit livre concernant M. Wolff. Je regarde ses idées métaphysiques comme des choses qui font honneur à l'esprit humain. Ce sont des éclairs au milieu d'une nuit profonde; c'est tout ce qu'on peut espérer, je crois, de la métaphysique. Il n'y a pas d'apparence que les premiers principes des choses soient jamais bien connus. Les souris qui habitent quelques petits trous d'un bâtiment immense ne savent ni si ce bâtiment est éternel, ni quel en est l'architecte, ni pourquoi cet architecte a bâti. Elles tâchent de conserver leur vie, de peupler leurs trous, et de fuir les animaux destructeurs qui les poursuivent. Nous sommes les souris, et le divin architecte qui a bâti cet univers n'a pas encore, que je sache, dit son secret à aucun de nous. Si quelqu'un peut prétendre à deviner juste, c'est M. Wolff. On peut le combattre, mais il faut l'estimer. Sa philosophie est bien loin d'être pernicieuse; y a-t-il rien de plus beau et de plus vrai que de dire, comme il fait, que les hommes doivent être justes, quand même ils auraient le malheur d'être athées?