<9>La protection qu'il semble que vous donnez, monseigneur, à ce savant homme est une preuve de la justesse de votre esprit et de l'humanité de vos sentiments.

Vous avez la bonté, monseigneur, de me promettre de m'envoyer le Traité de Dieu, de l'âme et du monde. Quel présent, monseigneur, et quel commerce! L'héritier d'une monarchie daigne, du sein de son palais, envoyer des instructions à un solitaire! Daignez me faire ce présent, monseigneur; mon amour extrême pour le vrai est la seule chose qui m'en rende digne. La plupart des princes craignent d'entendre la vérité, et ce sera vous qui l'enseignerez.

A l'égard des vers dont vous me parlez, vous pensez sur cet art aussi sensément que sur tout le reste. Les vers qui n'apprennent pas aux hommes des vérités neuves et touchantes ne méritent guère d'être lus. Vous sentez qu'il n'y aurait rien de plus méprisable que de passer sa vie à renfermer dans des rimes des lieux communs usés, qui ne méritent pas le nom de pensées. S'il y a quelque chose de plus vil, c'est de n'être que poëte satirique et de n'écrire que pour décrier les autres. Ces poëtes sont au Parnasse ce que sont dans les écoles ces docteurs qui ne savent que des mots, et qui cabalent contre ceux qui écrivent des choses.

Si la Henriade a pu ne pas déplaire à V. A. R., j'en dois rendre grâce à cet amour du vrai, à cette horreur que mon poëme inspire pour les factieux, pour les persécuteurs, pour les superstitieux, pour les tyrans et pour les rebelles. C'est l'ouvrage d'un honnête homme; il devait trouver grâce devant un prince philosophe.

Vous m'ordonnez de vous envoyer mes autres ouvrages. Je vous obéirai, monseigneur; vous serez mon juge, et vous me tiendrez lieu du public. Je vous soumettrai ce que j'ai hasardé en philosophie; vos lumières seront ma récompense; c'est un prix que peu de souverains peuvent donner. Je suis sûr de votre secret; votre vertu doit égaler vos connaissances.

Je regarderais comme un bonheur bien précieux celui de venir faire ma cour à V. A. R. On va à Rome pour voir des églises, des tableaux, des ruines et des bas-reliefs. Un prince tel que vous mérite bien mieux un voyage; c'est une rareté plus mer-